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donnée à la délivrance de Condé ; puis, c’est le beau-père de Luynes, Montbazon, un digne homme, qu’on emploie à ces corvées quand sa maîtresse, la fameuse Choisy, lui donne congé de quitter Paris ; puis, c’est un très habile et rusé diplomate, capable de fonctions plus importantes, Blainville, qui fait le voyage trois fois, coup sur coup : puis, c’est le grand écuyer Bellegarde, l’ancien amoureux transi de Marie de Médicis, qui, maintenant, fait sa cour à la faveur et ménage les deux partis ; puis ce sont les ecclésiastiques, l’archevêque de Sens, le Père de Bérulle, le cardinal de Sourdis. Ces négociations, qui se succèdent et s’entrecroisent, pendant tout l’hiver, ne font guère avancer les choses. Luynes affirme qu’il voudrait, de tout son cœur, voir la Reine rentrer à la Cour. Luçon jure qu’elle n’a pas d’autre désir ; mais il y a toujours quelque détail qui accroche, et, le manque de sincérité faisant le manque de confiance, chacun cherche à rejeter sur l’autre la faute du retard quand, au fond, personne ne désire le retour.

Pour l’évêque de Luçon, le double jeu résulte de la contradiction entre les affirmations si nettes de ses Mémoires, et les déclarations non moins nettes, mais en sens contraire, qui se trouvent dans les instructions données au Commandeur de la Porte, et dans une lettre à Marillac : « Conserver à la Reine une demeure sûre et libre. » — « Je crois qu’on peut différer le voyage, mais non point qu’on le doive rompre. »

Quant à Luynes, il n’est pas plus franc, et il a certainement donné au Père de Bérulle, pour ligne de conduite secrète, de retarder la venue de la Reine, tout en paraissant le presser ; car celui-ci lui écrit : « Même, il me semble reconnaître qu’il n’y a pas ici, — c’est-à-dire à Angers, — un si grand attachement au retour à la Cour, que l’affaire ne puisse être ménagée… Il y a, ici, des esprits pénétrans, défians et agissans qui se persuadent que je suis ici pour quelque sujet plus particulier que le général ; ce qu’ils soupçonnent d’autant plus, que moins ils le découvrent. » Donc, il y avait quelque chose à découvrir. Bérulle se croyait indéchiffrable. Mais Richelieu lisait dans l’esprit du bon Père, comme celui-ci croyait lire dans le sien.

Rien n’est plus complexe que cette intrigue ; car, si les chefs sont à double fond, les intermédiaires paraissent sincères ; de sorte qu’il est difficile de fixer la limite exacte entre la bonne foi et la duplicité. Il y a, là, tout un groupe d’ecclésiastiques que nous avons vu, déjà en mouvement, lors du traité d’Angoulême, et qui