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Au fond, quoiqu’il dise exactement le contraire dans ses Mémoires, il était opposé à l’idée de voir la Reine rentrer à la Cour. Il sentait bien que, tant que Luynes serait là, il n’avait rien à y gagner. Voulait-il aller jusqu’à la rupture et jusqu’à un conflit armé ? C’est peu probable. Il était trop clairvoyant pour ne pas en deviner l’issue. Mais, par un plan très souple, très fin et toujours modifiable selon les événemens, il prétendait, probablement, se tenir en équilibre entre les deux politiques, suivre l’arête du toit, armer pour négocier, négocier pour éviter le recours aux armes et, par une habile mise en œuvre de tous les intérêts engagés, conduire les choses au point où il déciderait en dernier ressort, précipiterait les événemens, ou interviendrait en sauveur et en pacificateur. L’acuité de son esprit pénétrant, sa psychologie profonde et attentive, son instinct et je dirai presque son extrême sensibilité pour les choses de la politique le guidaient dans ce dangereux défilé. Il s’y engageait, un peu contraint, mais peut-être satisfait, ménageant d’avance ses portes de sortie et ses alibis ; heureux, — qui sait ? — de côtoyer le péril, de risquer, en joueur sûr de son jeu et confiant aussi dans son étoile, ou, mieux encore, dans son coup d’œil, dans son esprit de résolution, pour se tirer d’affaire au dernier moment et pour arracher un succès incertain et inespéré à la fortune tentée et provoquée jusque dans ses plus chancelantes et dangereuses hésitations.

L’un et l’autre parti l’accusèrent soit de défaillance, soit de trahison. Les hommes qui se taisent sont suspects. Les bavards et les agités n’aiment pas ces gens froids, qui savent où ils vont et ne disent rien. En réalité, Richelieu ne confia à personne son secret. Il suivait son idée, bouche close, escomptant la légèreté, l’imprudence et les passions, non-seulement de ses adversaires, mais de ceux qui croyaient pouvoir se servir de lui.

La Cour sentait le péril. Luynes était assez fin pour jouer au plus fin. Ce ne sont que protestations, missives secrètes et publiques, « paroles dorées, » lettres de respect et d’affection, venant sans cesse de Paris à Angers : « Ils firent semblant de désirer que la Reine vînt à la Cour ; quand ils la voyoient sur le point de vouloir partir, ils l’en détournoient et lui faisoient savoir qu’elle ne seroit plus la bien venue. » La Cour d’Angers avait, aussi, deux paroles et deux visages. Aux intermédiaires, aux pacificateurs, aux donneurs de conseils bénins, les évêques, les confesseurs, on écrit que la Reine n’a d’autre désir que de revoir son fils et de