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grâce à ces vies associées et des millions de fois multipliées par la vertu de l’association, l’on voit s’étendre indéfiniment devant soi, de plus en plus riche, le riche tissu de la vie sociale, de moins en moins lourde, de plus en plus humaine.

Que faut-il pour que l’association professionnelle fasse plus de bien encore et rende tout ce qu’elle peut rendre de services ? Qu’on ne lui en marchande pas les moyens, qu’on ne l’entrave pas, qu’on ne la paralyse pas, qu’on ne prétende pas qu’elle fonctionne à vide, s’alimente d’air, et se chauffe sans combustible ; qu’on permette aux syndicats et aux unions de syndicats d’« acquérir, vendre, échanger, transiger, emprunter, hypothéquer, ester en justice. » L’association professionnelle a prouvé qu’elle était assez grande personne pour avoir toute sa personnalité : qu’on la lui donne. La Belgique l’a fait récemment, et s’en félicite. La législation allemande, la législation autrichienne, de leur côté, sont moins dures ou moins chiches que la nôtre. — Hâtons-nous d’imiter toutes ces monarchies. Nous ne saurions rien faire de plus démocratique.

Je dis « de plus démocratique, » parce que, dans l’acception étendue du mot, économiquement comme politiquement, et plus encore peut-être, nous sommes une démocratie. Or, économiquement comme politiquement, on ne conçoit point comment une démocratie pourrait s’organiser et vivre sans les multiples formes de l’association. Pour ce qui est de l’ordre économique, tout d’abord, elle ne le peut absolument pas ; et si, par miracle, une démocratie ancienne l’eût pu, une démocratie moderne ne le peut absolument plus. Ce n’est pas une révolution que nous avons subie depuis la fin du XVIIIe siècle, c’est deux : j’entends que ce n’est pas seulement une révolution politique, mais aussi une révolution économique, toutes les deux participant d’une révolution sociale et, à elles deux, la réalisant. Economiquement, nous avons vu, par les applications des énergies naturelles domestiquées, s’opérer une concentration de la force, par elle une concentration de l’industrie, et, par la concentration du travail dans l’usine, la concentration des travailleurs autour de l’usine. Les conditions de la vie en ont été changées, et celles de la société, et celles de l’Etat lui-même. Ainsi le travail a perdu son caractère individuel ou particulier, pour revêtir un caractère en quelque sorte ou dans quelque mesure collectif, et de nouvelles « espèces d’intérêt collectif » ont surgi, auxquelles l’association seule peut