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peu près tout, mais non ; il y a autre chose, et quelque chose qui serait important, si la loi ne le limitait pas de très court : une espèce de droit de coalition entre syndicats. « Les syndicats régulièrement constitués pourront librement se concerter pour l’étude et la défense de leurs intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. Mais ces unions ne pourront posséder aucun immeuble ni ester en justice. » La personnalité civile, même restreinte, que la loi accorde aux syndicats professionnels dont elles sont composées, on la retire à ces unions ou bien on ne l’étend pas jusqu’à elles. L’être inférieur est doué d’une vie supérieure à celle de l’être supérieur, dont on ne consent à faire qu’un être artificiel et intermittent, à peine un être, et à qui l’on ne donne la vie qu’en lui refusant ou en lui mesurant d’une main avare les moyens de vivre.

Et c’est pourquoi la loi de 1884, qui est une loi de réparation, n’est en même temps qu’une loi de préparation. Telle qu’elle est, il y avait quatre-vingt-quinze ans qu’on l’attendait. Il y avait quatre-vingt-quinze ans que le droit naturel d’association était légalement supprimé, et ce droit imprescriptible semblait prescrit dans la France de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous avions traversé, depuis la grande Révolution, trois autres révolutions, grandes, moyennes ou petites : celle de juillet 1830, celle de février 1848, celle de septembre 1870, sans compter les insurrections, dont quelques-unes terribles : les journées de Juin, la Commune ; subi deux coups d’Etat : le 18 Brumaire et le Deux Décembre ; essayé de tous les régimes et de toutes les formes de tous les régimes ; connu tour à tour la République conventionnelle, la République directoriale, trois phases de la République consulaire, l’Empire, la première Restauration, les Cent Jours, deux règnes de la seconde Restauration, la Monarchie censitaire et bourgeoise, la deuxième République, la présidence du prince Louis-Napoléon, le second Empire, autoritaire, puis libéral, le gouvernement de la Défense nationale, la magistrature de M. Thiers, la troisième République jusqu’en 1877, et à partir de 1877, — la République sans les républicains, et la République aux républicains ; — nous avions successivement usé une douzaine de constitutions ; nous avions entendu, à la tribune de dix-huit ou dix-neuf assemblées, quantité de discours, — et tel ou tel fort beau, — sur « les libertés nécessaires ; » mais la liberté d’association en était toujours au point où on l’avait réduite en 1791 : elle