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et son propre palais, il demanda au roi de Tyr un de ses artistes ; il est probable que les orfèvres sidoniens ont joué le même rôle en Grèce. M. Naville a montré récemment qu’ils avaient exercé leur art jusqu’en Égypte. En tous cas, les produits de leur industrie ont inondé les marchés du monde occidental. Ils y vendaient leurs colliers d’or et leurs bracelets qu’ils échangeaient contre de belles femmes, et surtout ces coupes en bronze ou en argent repoussé, qui offraient, en longs dessins circulaires, des scènes de chasse, de longs alignemens de bêtes fauves ou domestiques, des luttes entre des dieux et des animaux fantastiques, tout un résumé des conceptions religieuses qui ont donné naissance aux développemens de la mythologie grecque,

Carthage ne nous a pas encore livré de ces coupes, que l’on trouve en Grèce, comme dans l’île de Chypre et jusqu’en Italie. Le sol n’y a pas la sécheresse du sable d’Égypte, qui préserve de la destruction les reliques que l’homme lui confie ; il n’a pas été pénétré par la couche de cendres qui a recouvert de son linceul, à Pompéi, toute une civilisation en son plein épanouissement et l’a pétrifiée. Le bois de cèdre qui recouvrait les morts ou lambrissait les plafonds de leurs tombeaux est tombé en poussière et l’on ne trouve plus que les poignées qui avaient servi à les descendre sur leur couche funèbre.

L’argent et le bronze eux-mêmes ont été mangés par la rouille ; et pourtant ils devaient être largement représentés dans ces sépultures. On y retrouve quelques restes d’armes, de petites hachettes, des fers de lance, des coutelas, des hameçons, des pelles, des pincettes ; puis d’épaisses cymbales en cuivre, des sonnettes, des miroirs et surtout de belles œnochoés en bronze, qui, étant plus massives, ont mieux résisté. L’une d’elles, toute de bronze doré et d’une rare élégance de formes, est munie d’une anse qui s’élève au-dessus du col, décrivant une courbe gracieuse. La jonction de l’anse et du col est formée par une pièce carrée sur laquelle se détache en relief une tête de veau que surmonte le disque entre deux uraeus. Sur d’autres, l’anse, artistement travaillée, a comme points d’attache, en bas une tête barbue aux traits siléniques, en haut une tête imberbe.

L’or seul n’a pas été attaqué par le temps. Il a résisté même à l’usure des flots de la mer. La côte de Carthage offre, au niveau du promontoire de Bordj Djedid, un vrai sable aurifère, auquel se trouvent mêlés, soit de petits grains d’or, soit même des anneaux.