Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et se récria sur sa richesse. « Il est assez beau, dit Mme de Dorset, mais il n’a rien d’extraordinaire. » Mme de Talleyrand parla du prix qu’il devait coûter. « Ce prix, répondit la duchesse, n’est pas exorbitant, et surtout il n’est pas tel que M. de Talleyrand ne puisse très bien, et sans se gêner, vous faire un cadeau semblable. -— Ah ! mon Dieu, madame, comme vous vous trompez ! s’écria Mme Grant ; croyez-vous donc que j’aie épousé le pape ? » Cette naïveté paraîtra sans doute un peu forte, mais la bêtise de Mme Grant est si bien connue qu’on ne risque rien de la lui attribuer.


Paris, le 23 juillet 1803.

Le Journal officiel a seul le privilège d’apprendre ce qu’on doit savoir du voyage de Bonaparte. Selon lui, « du Brabant la trop froide apathie » a été changée en un enthousiasme universel. La haine du Gouvernement français a fait place, chez les Belges, au délire de l’admiration, et le caractère de grandeur que déploie l’illustre voyageur accroît chaque jour ces sentimens dans leur cœur. Il y a à rabattre de ce récit merveilleux. On sait que les démonstrations de la joie ont été commandées sur la route du Premier Consul, mais il y a cependant quelque chose de vrai dans tout cela. Les lettres particulières attestent l’ivresse et l’empressement du peuple ; on se porte réellement en foule autour du grand homme, on est heureux d’en recevoir un regard, une parole. Au reste, tel est l’effet ordinaire de la pompe. Les grande spectacles remuent toujours la multitude, et rien n’a été oublié dans celui-ci. Partout où Bonaparte a passé, on lui a fait les présens destinés jadis à nos Rois. Amiens lui a offert des cygnes, qu’on a placés bien vite sur le grand bassin des Tuileries. Rien ne satisfait autant son orgueil que ces éclatans hommages, et le désir de les recevoir a peut-être été un des motifs de son voyage. Quelques-uns assurent que son dessein est de se faire couronner Empereur à Bruxelles. C’est pour ce.., dit-on, qu’il a rassemblé dans cette ville le Conseil d’État, tous les ministres, etc. C’est surtout dans cette vue qu’il fait venir le cardinal-légat, sans doute pour lui faire faire la cérémonie du sacre. D’autres prétendent que c’est à Aix-la-Chapelle, capitale de l’ancien Empire des Gaules, et sur le tombeau de Charlemagne, qu’il veut ressaisir son héritage. Ces bruits ont occupé Paris pendant plusieurs jours, ils commencent à s’affaiblir.