Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’action, sous le sifflement des balles ou le gémissement des obus, dans ces routes sillonnées de canaux ou de fossés, dans cet horizon fermé par des arbres, à cheval depuis l’aube après avoir passé une partie de la nuit à arrêter leurs dispositions, on s’étonne, non qu’ils aient commis des fautes, mais qu’ils en aient commis aussi peu, et qu’au milieu de tant d’obscurité, d’inconnu, de causes d’effarement et de trouble, ils aient, à ce point, conservé leur calme, leur ténacité stoïque ou offensive, leur puissance imperturbable d’intelligence et de volonté. Et quels soldats ! Ceux de Napoléon Ier, « aux jarrets de fer, à l’estomac de fourmi, au cœur de lion[1]. » Dans les grandes batailles, soutenus seulement par le café du matin, par le biscuit de leur sac et l’eau de leur petit bidon, ils marchent, combattent, se déploient, s’avancent, bravent les boulets, les baïonnettes, les retranchemens, la chaleur, la faim, la soif, sans un murmure, sans un découragement, sans une défaillance. Le moindre de ces troupiers, dont le nom est tombé dans l’oubli, linceul des humbles, mériterait d’être inscrit sur les arcs de triomphe de l’histoire. Leurs adversaires sont également de haute valeur, disciplinés, vaillans, obstinés, solides aussi, mais les nôtres les poussent devant eux comme l’ouragan chasse la poussière. Avant le combat, quelle bonne humeur ! quelle gaieté ! Après la victoire, quelle humanité ! À Palestro, les pauvres prisonniers autrichiens indiquent par des gestes qu’ils sont affamés et altérés ; ces mêmes zouaves qui venaient de les attaquer avec une véritable férocité de courage tirent de leurs poches les quelques morceaux de pain qui leur restent, courent aux fontaines chercher de l’eau : « Tu as faim, mon petit, mange-moi ça, et avale ce verre d’eau fraîche ! » accompagnant leur offre de gestes caressans comme on fait avec les enfans.


II

Est-ce à dire qu’il n’y eut qu’à se congratuler et à s’admirer ? Certainement, si les conditions de la guerre n’eussent pas été en train de changer de fond en comble par l’intervention des chemins de fer et surtout par l’introduction des armes à tir rapide. Ce double fait allait opérer dans la stratégie et la tactique une révolution aussi fondamentale que le fit autrefois l’invention de

  1. Bugeaud.