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aurait résisté à ce prestige ? Celui-là nous eut fermé la bouche. Il nous aurait enterrés vivans, nous et la liberté. Et nous avions la simplicité de cœur de souhaiter son triomphe, qui était notre ruine certaine ! Nous avons fait des vœux contre nous-mêmes. Reconnaissons-le ! Nous sommes sauvés, relevés malgré nous[1]. » « Tant mieux, me disait Floquet, en me serrant le bras avec force, ils l’assassineront ! » Les amis mêmes de la maison n’étaient pas contens : « Peut-être la paix était-elle nécessaire, écrivait Mérimée, mais il ne fallait pas commencer si bien, pour établir un gâchis pire que ce qu’il y avait auparavant. » Au contraire, ceux qui ne se souciaient pas de l’Italie, comme Emile de Girardin, ou qui la combattaient, comme Thiers, étaient satisfaits ; les cléricaux, croyant les périls de la Papauté conjurés, jubilaient. « L’empereur d’Autriche, disait Louis Veuillot, cède à l’empereur des Français ses droits sur la Lombardie. Il a abandonné en roi ce qu’il a perdu comme roi, et l’empereur des Français, à son tour, donnant la Lombardie au roi de Piémont, son allié, dispose en roi de ce qu’il a gagné comme roi. C’est la tradition monarchique toute pure. Il n’est pas question du droit de la révolte : ce n’est pas la Lombardie qui se donne ; elle-même est cédée par François-Joseph. Il nous est agréable d’entrevoir le jour où les drapeaux catholiques de France, d’Autriche et d’Italie seront unis sur le même champ de bataille pour une de ces causes de Dieu dont le triomphe sauve et agrandit les civilisations. » Lacordaire était également content, mais par un autre motif : « Voilà donc la paix faite, le Milanais entre les mains du Piémont, et la Confédération italienne acceptée par un traité : c’est un grand pas[2]. »

En ce qui me concerne, j’eus une vision prophétique que je retrouve dans mon journal quotidien : « Je suis convaincu que la période guerrière de l’Empire est terminée. Notre Empereur a renoncé à la guerre, du moins à la grande guerre en Europe. L’Angleterre n’a, pas plus que la Prusse, à redouter une agression. Elles n’auront la guerre que si elles-mêmes la provoquent ou la nécessitent. » Cette prédiction s’est vérifiée à la lettre. Jusque-là chercher, provoquer une guerre avait été la pensée de l’Empereur. Désormais il ne va plus travailler qu’à en éviter une nouvelle. Cette passion pacifique l’engagera dans des négociations malheureuses, le décidera à des abstentions inopportunes, et,

  1. À Michelet, 22 juillet 1859.
  2. À Foisset, 13 juillet 1859.