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comme entrée en matière, que vous avez donné votre démission. Monsieur le comte, j’espère que ce n’est pas vrai. — Mais oui, j’ai donné ma démission. — Ah ! c’est fâcheux, très fâcheux. L’Empereur le regrettera beaucoup. — Que voulez-vous ? En politique, on transige souvent avec les questions de temps et le mode d’action, quelquefois même avec les principes, mais il y a un point sur lequel un homme de cœur ne transige jamais, c’est l’honneur. Votre Empereur m’a déshonoré, oui, monsieur, déshonoré, il m’a déshonoré ! Il a donné sa parole, il a promis qu’il ne s’arrêterait pas avant d’avoir chassé les Autrichiens de toute l’Italie ; en récompense, il s’est réservé la Savoie et Nice. J’ai persuadé à mon Roi d’accepter, de faire ce sacrifice pour l’Italie. Mon Roi, bon, honnête, a consenti, se fiant à ma parole. Et maintenant votre Empereur emporte la récompense (c’était une contre-vérité, l’Empereur ne réclamant plus Nice et la Savoie), et il nous laisse en plan. Il faut que la Lombardie nous suffise ! En outre, il veut enchaîner mon Roi dans une Confédération avec l’Autriche et les autres princes italiens, sous la présidence du Pape. Il ne manquerait que cela ! Je suis déshonoré devant mon Roi. » De ces propos incohérens, venant aux réalités présentes, il ajouta : « Je vous le dis et je le dis devant M. Piétri (et parler devant Monsieur, c’est comme si je parlais devant son Empereur), ce traité ne s’exécutera pas. Je prendrai par une main Solaro della Margherita, par l’autre Mazzini ; s’il le faut, je me ferai révolutionnaire ; (se frappant la poitrine) : je me ferai révolutionnaire ! mais ce traité ne s’exécutera pas. Non ! mille fois non ! jamais ! L’Empereur des Français s’en va, qu’il s’en aille ! Mais, moi et vous, monsieur Kossuth, nous restons, nous ferons à nous deux ce que l’Empereur des Français n’a pas osé accomplir. Pardieu, nous ne nous arrêterons pas à mi-chemin. »

Il se mit aussitôt à l’œuvre. Profitant de ses dernières heures de pouvoir, il fit délivrer des armes au président de l’assemblée de Modène, et il répondit à une dépêche insurrectionnelle de Farini : « Le ministre est mort, le bon ami applaudit à ta ferme décision. » Il écrivit à Massimo d’Azeglio à Bologne : « Dès que j’aurai un successeur, je viendrai me mettre sous tes ordres et me faire tuer avec toi pour l’indépendance italienne. »

Il se rendit à la gare à l’arrivée des souverains, salua l’Empereur sans lui adresser la parole, et refusa d’assister au dîner de cour. L’Empereur ne voulut pas quitter Turin brouillé avec lui.