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entièrement inadmissibles ; le Régent refusait de les appuyer : « Il était très touché de la preuve de confiance que lui donnait l’Empereur, mais c’était chose trop grave que de conseiller à l’Autriche d’abandonner une province encore entre ses mains ; pour lui donner ce conseil, il faudrait avoir une connaissance plus exacte de son état financier et militaire et pouvoir discuter les raisons d’un si grand sacrifice ; en tout cas, on ne pouvait traiter ce sujet par le télégraphe[1]. »

L’Empereur se trouvait ainsi acculé à la nécessité ou d’accepter la lutte sur le Rhin avec l’Allemagne entière, ou de s’arranger tout de suite sur le Mincio avec l’empereur d’Autriche. Or on ne pouvait espérer de François-Joseph aucun arrangement qui impliquerait l’abandon de la Vénétie. Napoléon III, n’étant pas de ceux qui se refusent aux conditions sans lesquelles on n’atteindra pas le but, demanda à François-Joseph une conférence, avec le parti pris de ne pas insister sur l’indépendance de la Vénétie, même sous un archiduc, et de réduire ses exigences à la cession de la Lombardie.

Les chances de François-Joseph étaient meilleures que les nôtres ; son armée, plus nombreuse, s’appuyait à des forteresses redoutables et l’Allemagne marchait sur le Rhin. Mais à quel prix ce concours ? Le Régent refusait de devenir un allié, voulait rester un médiateur indépendant ; tranchant, de son autorité propre et à son profit, le dualisme fédéral, il se constituait l’unique représentant de la puissance allemande au dehors et au dedans et réclamait de la Diète le commandement absolu des contingens fédéraux. La sagesse eût été de dévorer l’affront, et, des réserves de principes discrètement présentées, de profiter du secours, de se relever, sauf à reprendre plus tard ce qu’on vous avait extorqué.

Heureusement François-Joseph n’eut pas ce sens politique supérieur ; il se piqua, il se plaignit, se cabra, en vint à éprouver plus d’antipathie contre l’allié qui s’apprêtait à le secourir à ses conditions que contre les adversaires qui travaillaient à le dépouiller sans conditions. Il ne pouvait se résigner à voir la Prusse se hisser, même momentanément, à la tête de l’Allemagne ; blessé dans son orgueil, il aimait mieux sacrifier une province que sa prépondérance fédérale. Il fit protester à la Diète contre la prétention

  1. Dépêche de Moustier du 11 juillet 1859.