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l’armée était finie ; le reste de l’armée, sur le pied de guerre, en état d’être également mobilisé ; les transports par chemins de fer réglés, tout le matériel roulant réuni aux points de débarquement vers lesquels les troupes étaient dirigées ; et l’on sait que, dans le système prussien, la concentration doit immédiatement aboutir à l’action. 250 000 Prussiens allaient être rassemblés sur le Rhin ; le Régent demandait en outre à la Diète de placer deux corps fédéraux sous son commandement direct, sans qu’il fût astreint à recevoir les instructions de la Diète et à subir la surveillance des dix-sept commissaires fédéraux. Les petits États maugréèrent un peu contre cette mainmise militaire sur la Confédération : « C’est fort désagréable, écrivait l’envoyé de Saxe à son gouvernement ; mais ce désagrément ne sera que momentané. Une fois la guerre finie, les princes allemands se jetteront de nouveau dans les bras de François-Joseph, qui les aidera à se tirer des griffes de la Prusse. » Et ils étaient décidés à voter la proposition prussienne, ce qui aurait porté les forces agressives du Régent à près de 400 000 hommes[1].

Le vote de la Diète obtenu, la procédure eût été très simple : on aurait sommé Napoléon III, en termes polis, d’évacuer la Vénétie et la Lombardie ; à son refus, on aurait passé notre frontière dégarnie, sans que l’Empereur eût l’espérance, comme il l’avait eue au commencement de la guerre, d’une diversion de la Russie. « Alors, dit Sybel, se serait ouverte une perspective étendue de victoire pour les armes allemandes, même sans le concours des armes fédérales et autrichiennes. »

Ces renseignemens arrivaient à l’Empereur concordans, quoique venus de côtés bien divers. Ils étaient dans les rapports de tous nos agens, notamment de Bourée, envoyé en mission secrète en Allemagne, dans les lettres pressantes de l’Impératrice, de Walewski, du roi Jérôme ; ils venaient surtout de Russie. Ni Gortchakof, ni le Tsar ne s’étaient, quoi qu’on en ait dit, refroidis pour nous. Malgré ses sentimens conservateurs, Gortchakof déclarait au prince Szechenyi que, « si l’Autriche parvenait à jeter l’Allemagne sur la France et la forçait ainsi à user de toutes les armes (allusion à une insurrection hongroise) et à sortir du caractère régulier qu’on avait mis jusqu’alors tant de soin à conserver à la guerre, la Russie, tout en le voyant avec douleur,

  1. Lettre de Moltke de juillet 1859 à son frère Adolphe. — Campagne d’Italie, par la division historique de l’état-major prussien.