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contre Luynes. Celui-ci abusait étrangement de sa situation. Lui et les siens mettaient la France au pillage. Les temps du maréchal d’Ancre étaient revenus. Que Luynes fût duc et pair, son frère Cadenet maréchal de France, tous ses parens et amis inscrits pour la promotion du Saint-Esprit, passe encore. Mais, par un plan audacieux et, d’ailleurs, servilement copié sur celui de son prédécesseur, il paraissait vouloir s’assurer, dans le royaume, pour le cas de disgrâce, les moyens de lutter contre l’autorité royale elle-même. Par le traité d’Angoulême, il avait repris à la Reine-Mère, en échange de l’Anjou, le gouvernement de la Normandie. Il le troque contre la Picardie, qui était héréditairement aux Longue ville, et s’assure, par différens moyens, des places de Ham et d’Amiens sur la frontière. En outre, il achète Boulogne à M. d’Epernon et Calais à M. d’Arquien. « Je crois, dit Fontenay-Mareuil, que, s’il eût vécu davantage et qu’il fût toujours demeuré en faveur, il eût voulu avoir toutes les places de la France. »

Richelieu assiste, avec une colère où il y a autre chose que de la rivalité personnelle, aux manifestations incessantes de cette extraordinaire gloutonnerie : « Vous diriez, écrit-il, que la France n’est que pour eux seuls ; que, pour eux, elle est abondante en toutes sortes de richesses. Les gouvernemens et les places qu’ils ont déjà acquises leur semblent peu proportionnées à ce qui leur est dû ; il n’y en a aucun qu’ils ne marchandent, qu’aux dépens du Roi, ils ne mettent au double prix de sa valeur. Si elles ne sont pas à prix d’argent, ils les ravissent par violence, jusque-là qu’ils en prennent par ces voies jusqu’à dix-huit des plus importantes… On détourne à ces traités particuliers l’es deniers qui se lèvent sur les peuples pour le bien public. En un mot, si la France était tout entière à vendre, ils achèteraient la France de la France même. »

Bien entendu, cette rapacité n’allait pas sans faire au favori de nombreux ennemis. La direction générale qu’il donnait aux affaires du royaume lui en faisait d’autres. Soit qu’il fût porté par ses origines du Comtat, soit qu’il subît l’influence du nonce du pape, Bentivoglio, soit qu’il considérât les Huguenots comme des adversaires et qu’il cherchât un appui contre eux, il s’était fortement lié au parti catholique et il lui avait donné un gage décisif, en accordant, en février 1618, à la compagnie de Jésus l’autorisation, jusque-là sollicitée vainement, de rouvrir à Paris le collège