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Cette cour hostile épiait les moindres mouvemens de la Reine. Elle se serait crue, de nouveau, à Blois. Tout l’irritait : « Les favoris ont l’œil sur le Roi, autant qu’ils peuvent ; s’il va chez la Reine, un d’entre eux y est toujours présent ; s’il s’approche d’elle, ils y accourent incontinent… Toute la Cour remarque cette procédure, s’en offense et la blâme… La Reine trouve qu’on avait tellement prévenu son fils, qu’elle pouvait dire ce que Perséus de Macédoine disait de son frère Démétrius : que les Romains avaient retenu son esprit et ne lui avaient rendu que le corps… »

Parmi tant d’épreuves, rien ne fut plus pénible, pour la mère et pour l’ancienne régente, que de voir sa belle-fille, la reine Anne d’Autriche, prendre partout le pas sur elle, entrer la première en carrosse, et la recevoir du haut du perron, sans aller au-devant d’elle. Probablement, on avait fait la leçon à la jeune Reine. On tenait à ce que Marie de Médicis comprît que le temps de la régence était passé. L’autre avait, d’ailleurs, assez de morgue espagnole pour agir d’elle-même. En outre, dans le ménage royal, un grand changement venait de se produire. Le Roi, excité par Luynes, avait enfin dompté une sorte de timidité farouche qui l’avait arrêté jusque-là au bord du lit conjugal. La Reine, nubile depuis peu de temps, fière de sa jeunesse, de son éclatante beauté, de cette gloire qui vient à la femme de la première possession, étalait son triomphe récent et éphémère, aux yeux d’une belle-mère chagrine que l’âge, la politique et la volonté de son fils rejetaient au second plan.

Richelieu, non plus, n’était pas satisfait. Les promesses qu’on lui avait faites se dissipaient peu à peu parmi les caquetages et les sourires. La Cour, nombreuse et animée, avait toujours le visage et les ambitions tournés vers le favori du jour. Celui-ci louvoyait, nageait entre deux eaux, caressait tout le monde et n’était, avec personne, plus aimable qu’avec ses adversaires. Ces allures exaspéraient l’exigeant et rigoureux prélat : « Jamais personne ne fut trompeur au degré de M. de Luynes ; sa bouche ne s’ouvrait jamais à faire quelque promesse que sa volonté ne fût résolue à ne la pas observer et que son esprit ne méditât les moyens de n’en rien faire. Au temps même des protestations de fidélité et de service qu’il faisait à la Reine, la délivrance de Monsieur le Prince était sur le tapis secret. »

La délivrance de M. le Prince était pour l’évêque de Luçon un coup sensible. Il avait été un des conseillers de l’arrestation.