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Guercheville, Bouthillier La Cochère et, dans l’ombre, le Père Joseph et quelques prêtres ; il va s’efforcer de consolider ce petit groupe, de le grossir et, en éliminant ses adversaires, de les remplacer par sa famille et ses amis.

La Reine est brusque, fantasque, à la fois irrésolue et violente : il travaille à donner à sa conduite plus de tenue et une suite qui lui manque naturellement. Les autres élémens hostiles ou hésitans qui tournent autour de la Reine-Mère, il les équilibrera les uns par les autres, les maintiendra et les contiendra en même temps. À l’égard de la Cour, il se gardera d’un double péril, celui de se rapprocher trop, de peur d’être absorbé par elle, celui de s’en éloigner trop, de peur de perdre toute action sur elle. Son opposition devient souple, à la fois téméraire et féline. Dangereuse pour ses adversaires, elle risque d’être dangereuse pour lui-même ; car elle l’entraîne à des compromissions où l’on s’étonne de voir figurer un tel nom. Pour éliminer son rival, pour s’imposer lui-même, ce grand serviteur des rois courra le risque d’affaiblir irrémédiablement la royauté, et un Richelieu pactisera avec la rébellion.

C’est cette difficile partie où il s’engage qu’il est si intéressant de suivre dans les circonstances qui succèdent au traité d’Angoulême et dans toutes les conséquences qui en résultent. Trois points sont restés en suspens, même après la signature de l’accord, et donnent lieu à des discussions qui en prolongent, pour ainsi dire, la négociation, plusieurs semaines après qu’il est conclu : la Reine-Mère restera-t-elle en province, ou rentrera-t-elle à la Cour, près de son fils ? le Roi rendra-t-il la liberté au prince de Condé ? l’évêque de Luçon obtiendra-t-il le chapeau de cardinal ?

Ce fut la question du rapprochement effectif entre le Roi et la Reine qui se posa tout d’abord. Sur ce point, Richelieu avait déjà exprimé sa manière de voir dans les instructions données à l’émissaire envoyé près de la Reine, avant même qu’il fût arrivé à Angoulême : « Chercher tous bons moyens pour approcher le Roi et aider à ses bonnes intentions et pour guérir les jalousies, la Reine jouissant d’une demeure où elle soit assurée, et en laquelle elle évite de donner ni prendre nouvelles défiances… Ainsi que j’ai dit. la Reine ayant choisi une demeure sûre et libre, elle la doit posséder dans ses limites sans la rendre odieuse à l’Etat, sans en faire un siège de nouveautés, un réceptacle de brouillons et