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prendre que le moment paraissait revenu, à lui ou aux siens, de reprendre leur place dans le gouvernement. Et pourquoi cela ? Est-ce parce qu’un vent d’aventure souffle de nouveau sur l’Italie ? Est-ce parce qu’à la politique sage et prudente de ces derniers mois on serait à la veille d’en substituer une autre ? Est-ce parce que l’impatience de faire quelque chose, sans qu’ils sachent très bien quoi, se serait de nouveau emparée de nos voisins ? Le parti crispinien représente tout cela, et M. Sonnino représente aujourd’hui le parti crispinien. Donc, si M. Sonnino entre dans le futur cabinet, il faudra bien reconnaître qu’on aura fait des concessions à ce parti. Gardons-nous pourtant de rien exagérer. M. Sonnino reviendra un jour ou l’autre aux affaires, et il ne faudra pas croire pour cela à une révolution complète dans la politique italienne, ou à un retour pur et simple en arrière. Tout change autour des hommes, comment ne changeraient-ils pas eux-mêmes ? M. Sonnino ne sera peut-être pas demain ce qu’il a été dans d’autres circonstances. Mais M. Visconti-Venosta inspirerait tout de suite plus de confiance. Il est connu pour sa longue expérience, sa sagesse, sa modération, on le sait ennemi des entreprises téméraires et scabreuses. S’il était ministre des Affaires étrangères au moment de la lettre de M. Bonin, l’étude de la question chinoise l’a détourné d’aller en Chine sans précaution préalable et sans garanties très sérieuses. Avec lui, les coups de tête ne sont pas à craindre. Enfin, il a été l’initiateur de la politique moins tendue et plus conciliante que l’Italie a adoptée envers la France, et qui a déjà porté des fruits. Sa rentrée au ministère signifierait que cette politique ne doit subir ni déviation, ni atténuation. Si M. Sonnino et M. Visconti-Venosta y rentraient à la fois, un plus grand nombre de personnes peut-être seraient satisfaites : mais est-ce vraisemblable ? L’Italie est le pays de toutes les combinaisons, et on ne doit jamais déclarer d’avance qu’il en est une impossible. Il semble pourtant que le général Pelloux aurait de la peine à faire accepter et surtout pratiquer la même politique par deux hommes aussi diffèrens. En donnant sa démission comme il l’a fait, il a posé un problème très délicat, mais il faut croire qu’il se sentait les ressources nécessaires pour le résoudre. La solution sera bientôt connue.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.