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sellement applaudis. On a eu le sentiment que nos intérêts militaires étaient en mains sûres. L’armée aussi avait confiance en son ministre : elle savait que M. de Freycinet, naturellement ennemi des exagérations, saurait toujours la défendre sans la compromettre ; qu’il ne donnerait jamais aux choses plus d’importance qu’elles n’en avaient effectivement ; et que, en cela, s’il pouvait froisser quelques susceptibilités passagères, on le trouverait énergique et résolu lorsqu’il s’agirait de ce qu’un homme de gouvernement ne peut ni ne doit sacrifier. Pour tous ces motifs, le maintien de M. de Freycinet au ministère de la Guerre était infiniment désirable. De tous ceux qui l’avaient déterminé à en accepter la charge, il y a quelques mois, aucun n’avait perdu de sa force, bien au contraire ; ils étaient devenus de plus en plus impérieux à mesure que le moment aigu de la crise approchait. Pourquoi donc M. de Freycinet a-t-il donné sa démission ?

On hésite à croire que ce soit uniquement à cause de l’incident parlementaire provoqué par une question de M. Gouzy : si cet incident a fait déborder le vase, c’est sans doute parce que le vase était plein. Il s’agissait, au total, d’assez peu de chose. M. George Duruy, professeur à l’École polytechnique, avait vu une de ses leçons troublée par ses élèves, et, sur la proposition du général commandant de l’École, son cours avait été suspendu par le ministre. Le cours de M. Duruy était irréprochable ; pas un mot du professeur, prononcé dans sa chaire, n’avait pu provoquer la moindre susceptibilité ; mais, en dehors de l’École, M. Duruy avait cru pouvoir reprendre toute sa liberté, et il avait écrit des articles de journaux… sur l’Affaire. Toujours l’affaire Dreyfus bien entendu ! C’est le droit de tous les citoyens d’avoir une opinion sur elle, et on sait combien ils en usent, et en abusent ! Ce droit, certes, appartenait à M. Duruy comme à tout le monde, et lui seul était juge de la mesure dans laquelle il l’exerçait, pourvu qu’elle n’allât pas jusqu’à mettre en cause l’intérêt de l’armée, ni le principe de nos institutions fondamentales. Avec M. Duruy, rien de pareil n’était à craindre. Aussi bien tout le monde a-t-il reconnu qu’il n’y avait eu rien à reprendre dans le langage qu’il avait tenu à ses élèves. S’il avait fait la moindre allusion à l’affaire Dreyfus, nous serions les premiers à protester ; mais il n’en a fait aucune. Dès lors il faut regretter que dans une école, et surtout dans une école militaire, le sentiment de la discipline n’ait pas été assez fort pour maintenir l’ordre, et qu’on ait été obligé de recourir à la mesure extrême de la suspension du cours de M. Duruy. Nous ne blâmons pas cette mesure, si elle a été provisoirement nécessaire, mais il est fâcheux qu’elle l’ait été, ou qu’elle ait paru