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Browning lui-même, qui reprochait à Shakspeare d’avoir mis trop de soi dans son œuvre, peut-être n’aurait-il pas compris comme l’a fait son fils la « nécessité de choisir entre deux partis, » dont l’un consistait à détruire cette correspondance intime, et l’autre à la publier tout de suite, tout entière, sans en « omettre » un seul mot. En déposant les lettres dans un coffret qu’il avait fait faire pour elles, n’avait-il pas, d’avance, indiqué un troisième parti, qui consistait à les laisser dans leur coffret jusqu’au moment où il n’y aurait plus personne qui pût être choqué de leur publication ?

Et le fait est que leur publication présente a vivement choqué divers membres de la famille de Mme Browning, qui se sont empressés de traiter d’exagération, ou même de mensonge, les accusations portées par elle contre la tyrannie de son père. Mais ce qu’il y a pour nous de plus surprenant, c’est que, à l’exception des personnes directement touchées, et de quelques critiques, le public anglais ne semble pas s’être scandalisé outre mesure d’un tel déballage de documens intimes. L’intérêt romanesque de ces lettres, la merveilleuse beauté de certaines d’entre elles l’ont, évidemment, rendu plus indulgent et moins scrupuleux qu’on ne s’y serait attendu en pareille circonstance. Des innombrables articles parus dans les revues et les journaux anglais à l’occasion des Lettres d’amour de Robert et Elisabeth Browning, à peine si deux ou trois désapprouvent tout à fait la publication de ces lettres, ou même simplement la jugent prématurée : la plupart regrettent simplement que M. R. B. Browning n’ait point pratiqué, ça et là, quelques coupures, qui, en effet, n’auraient peut-être « abrégé le recueil que de peu de pages, » mais qui auraient, entre autres avantages, épargné au fils d’Elisabeth Browning l’ennui de voir publiquement contester les affirmations de sa mère.


Et, par une coïncidence bizarre et significative, il y a un point sur lequel les critiques anglais qui approuvaient la publication de ces lettres se sont trouvés entièrement d’accord avec ceux qui la désapprouvaient. Les uns et les autres ont été d’accord pour déclarer qu’une telle publication était chose nouvelle en Angleterre, mais qu’en France elle n’aurait fâché ni surpris personne, faisant pour ainsi dire partie des mœurs littéraires françaises.

On n’entend point par là, je suppose, qu’il soit en France d’usage courant, pour les enfans, de publier in extenso les lettres d’amour de leurs mères : on serait trop en peine de trouver un seul exemple, à l’appui d’une affirmation aussi fantaisiste. Mais d’ailleurs on ne se met