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Il a imaginé des personnages sympathiques, incarnant la distinction morale telle qu’il la conçoit. Versannes et Mme Lambert sont des êtres supérieurs, incapables de se prêter aux compromis usités dans notre société pharisienne et qui conforment leur conduite à leur idéal. Versannes a été d’abord un oisif, un mondain, un homme de cercle ; dégoûté d’une vie frivole et désireux de se régénérer, il s’est retiré dans ses terres afin d’y mener l’existence saine et utile de gentilhomme fermier. Par malheur, il est marié à une petite femme jolie et sotte qui n’a ni cervelle, ni cœur, ni même de sens. Elle lui plaisait ainsi, du temps qu’il n’avait lui-même qu’une âme de vanité ; depuis sa conversion, il la trouve insupportable. De se sentir lié à cette perruche, ce lui est une souffrance de tous les instans. Il a des aspirations qui ne sont pas satisfaites. Il a des rêves généreux et sans emploi. C’est un incompris. Que va-t-il faire pour réaliser les fins supérieures de sa nature ? Or, il y a dans un intérieur voisin une femme d’une trentaine d’années, deux fois mère de famille. Il deviendra l’amant de la mère de famille. Celle-ci, Mme Lambert, est pareillement une créature d’élite. Pour pénétrer cette âme exquise, voilée de délicatesse, de pudeur et de fierté, il n’eût pas fallu moins que toute l’intelligence et tout le soin attentif d’un mari éminent qui n’aurait eu aucun autre emploi de son temps. Mais la vie est mal faite, comme chacun sait. M. Lambert est d’une intelligence bornée, d’une nature épaisse, et d’ailleurs fort occupé à diriger une entreprise industrielle. Et voilà encore une incomprise ! Que va-t-elle faire afin d’échapper à cette atmosphère de vulgarité où elle étouffe ? Elle deviendra la maîtresse de Versannes. Ces deux incompris se consoleront en se comprenant l’un l’autre. Rien de plus naturel. Cela est si naturel, en effet, que c’est la nature elle-même dans ce qu’elle a de moins éthéré. C’est l’adultère né de l’ennui et des commodités du voisinage. C’est l’aventure vulgaire, médiocre, misérable. C’est le dernier mot de la platitude et de la banalité.

Ce pauvre adultère provincial fournit aux deux partenaires les joies qu’il comporte, et qui sont d’ailleurs de tous points conformes aux joies de l’adultère parisien. Seulement il survient un accident. Mme Lambert s’aperçoit qu’elle est enceinte ; et comme elle est trop pure pour se résigner à un partage auquel du reste son mari ne la sollicite pas, elle se trouve très embarrassée. Telle est la situation. Tel est le « cas de conscience » qui va être débattu pendant tout le cours de la pièce. Les solutions qui s’offrent ne sont ni très nombreuses, ni surtout très réjouissantes. Ou bien les heureux amans se sauveront. Ce sont de ces sottises qu’on commet dans un moment d’exaltation, mais qui