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prendre, il aime mieux la terre que l’or. Et, dans cette terre de France qu’il fouille, il trouve plus d’or qu’au Klondyke, et d’une espèce qui se renouvelle toujours. Il y trouve notre trésor de guerre et la réparation de toutes nos erreurs financières en temps de paix.

Quant à sa méfiance tant reprochée, c’est elle qui le sauve des panacées sociales où se précipitent goulûment les habitans plus savans, mais plus naïfs, de nos villes-lumières. Il sait ce qu’il faut de peine et de temps pour produire un épi de blé. Il s’étonne que quelques paroles magiques et quelques jours puissent suffire à renouveler la société. Etant méfiant, il est humble, car, à tout moment, sa récolte dépend du ciel. Mais, précisément pour cela, il est accessible à quelque idéalisme. Dans l’attelage idéal qui précède sa charrue, marchent l’amour vainqueur et l’invincible espérance. Sa conception de la patrie, se confondant avec celle de la terre, ne sera pas facile à déraciner. Contre l’envahisseur, sa haine est faite de toutes les peines dépensées pour la moisson prête à naître. Le vers antique, le cri admirable : Barbarus has segetes !… est son cri de ralliement. Il défend le sol comme il le fouille. Comme il porte l’or, il porte le fer.

Enfin son « individualisme » est un grief vieilli, et, si la vie rurale se transforme, c’est précisément dans le sens de la solidarité. Déjà, les paysans de M. Jules Breton couraient au feu, sous la menace commune, dans un élan commun. Ceux pour qui la Société des Agriculteurs de France a fait peindre cette toile font mieux encore, non seulement dans le court danger de l’incendie, mais dans le danger permanent des crises économiques. D’un bout du territoire à l’autre, depuis les Bretons de M. Dagnan jusqu’aux Provençaux de M. Montenard, le péril pousse aujourd’hui les paysans de France à se tendre la main. Les merveilles que la solidarité rurale a réalisées depuis dix ans étonnent ceux qui veulent s’enquérir de ce qui se passe sur la terre de France. S’il est ailleurs « des morts qui parlent, » il y a là-bas, par millions, des vivans qui se taisent, mais qui travaillent, et qui forment la réserve profonde et suprême où la France peut encore puiser. — Les Salons de 1899 ne seraient pas complètement inutiles, s’ils nous y faisaient songer.


ROBERT DE LA SIZERANNE.