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de la vigne était fatale à l’esprit des populations qui s’y livrent. M. Edmond Demolins, par exemple, dans son livre d’ailleurs si ingénieux des Français d’aujourd’hui, a trouvé d’abord, 1° qu’elle « présente certains caractères de la cueillette, 2° qu’elle donne un produit riche, 3° qu’elle est adaptée à la petite culture, 4° qu’elle dispense du patronage cultural. De là suivent, paraît-il, des conséquences très graves : 1° la culture de la vigne éloigne des grands groupemens de personnel ; 2° elle éloigne des méthodes puissantes et de l’emploi des grands engins ; 3° elle ne contribue pas au développement de l’industrie, elle tend à développer exclusivement la petite propriété et la culture parcellaire. Et, au point de vue moral, cette plante admirable, — le plus étonnant symbole de la résurrection du printemps et des mystères de la vie, — cette plante merveilleusement décorative, aux fines vrilles, qui ombrage tant d’œuvres d’art depuis la haute antiquité jusqu’au tombeau de Pasteur, — tout le mal vient d’elle dans notre pays.

Elle développe, en effet, spécialement la famille instable, elle désagrège la communauté, elle développe spontanément l’imprévoyance et les habitudes de luxe. Elle est un des principaux facteurs des tendances égalitaires et démocratiques. Des cuves ou des pressoirs sont sortis trois écrivains caricaturistes et démolisseurs : Rabelais, Paul-Louis Courier et Balzac. Enfin, la vigne porte la population à s’accumuler sur place, elle éloigne des entreprises compliquées, elle ne développe pas les hautes aptitudes qui permettent de gouverner les choses et les hommes ; elle développe seulement l’émigration vers les professions urbaines ; elle produit des fonctionnaires. Elle fait sombrer la vie sociale dans la prodigalité et le plaisir, la révolte contre l’état social existant. »

Mais les sociologues sont de grands désenchanteurs, et c’est eux aujourd’hui que Platon bannirait de sa République plutôt que les poètes. Si la simple récolte ou la cueillette développe l’imprévoyance, c’est pour cela peut-être que les magnanarelles chantent dans les arbres qu’elles effeuillent. Si elle éloigne de l’emploi des grands engins, — ce qui n’est malheureusement pas vrai dans les plaines du Midi, — il faudrait s’en féliciter puisqu’elle nous offre encore le spectacle de l’homme aux prises directement avec la nature. Pour y découvrir un ferment de révolution et de haine, un bouillon de culture pour les idées anarchistes,