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de gauche, où les violets et les verts claquent comme les battoirs des lavandières ; il n’y a pas là la pesanteur du tableau de droite, où le rouge et le jaune des blés sont lourds comme le réveil des faucheurs. Seulement la contemplation silencieuse, à deux, d’un petit être occupé gravement à boire la vie qu’il ignore dans un air léger qui l’enveloppe, sous des regards qui l’admirent, sur une terre que ses pères ont faite fertile et conservée française.

Nous voilà loin du paysan selon la formule des réalistes ! « L’animal farouche, noir, livide et tout brûlé par le soleil, » que La Bruyère a rencontré « attaché à la terre, qu’il fouille et qu’il remue avec une opiniâtreté invincible » a relevé la tête. Millet l’a peint debout, quoique haletant encore de l’effort produit et arc-bouté sur sa houe. M. Jules Breton l’a revêtu des derniers feux du soleil couchant et lui a cherché dans la nature une auréole. M. Lhermitte, lui, n’a montré ni la douleur comme Millet, ni la grâce ou la sérénité, comme M. Jules Breton, encore moins le ridicule comme Courbet. Il a montré ce qui est le trait caractéristique du paysan à notre époque : la force. Ses figures sont toujours vigoureuses, tranquilles, assurées. On ne leur imagine aucune inquiétude, aucune complication. Le faucheur que voici ne s’éveille d’aucun rêve. Les lavandières que voilà ne racontent point des histoires de fées. Ils songent tous à l’ouvrage présent : à ce linge qui doit être étendu, à ce grain qui doit être rentré ce soir.

Mais s’ils manquent de la poésie sentimentale que leur ont prêtée nos meilleurs romanciers, ils n’offrent nullement les aspects grotesques, grossiers et avachis des romans réalistes. Ce ne sont pas là des magots de Maupassant ou de M. Zola, pas plus que des ombres charmantes de George Sand. Ils ne parlent point un langage fleuri comme les oiseleurs de M. Pouvillon. Ils n’embrassent pas les arbres amoureusement comme les jeunes forestiers de M. Theuriet. Mais ils ne sont pas non plus en train d’étouffer leur vieux père sous des matelas, comme les Buteau de la Terre, ni de s’emplir de mangeaille, comme les convives de Madame Bovary. — S’il fallait les comparer à leurs frères de la littérature, il faudrait plutôt évoquer le Jean Nesmy de M. René Bazin, et tous ces robustes Lumineau du Marais breton, mais d’un Lumineau qui n’aurait pas quitté la terre où il est né. En apportant à l’art ces figures saines, fortes et calmes. M. Lhermitte nous a donné du paysan une tout autre vision que celle des littérateurs