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poursuit sa route après avoir vu les toiles de M. Jules Breton. Ils occupent le fond d’un panneau, et l’intelligent esprit esthétique qui a présidé à l’organisation de cette salle, nous permet de les voir tous ensemble à gauche, les Lavandières, au milieu, l’Heureuse Famille, à droite, le Réveil du faucheur, et au-dessus de l’Heureuse Famille, l’Ouvroir de Béguinage à Gand. Ce petit coin est, dans toute cette Galerie des machines, — des trop grandes machines, — le plus harmonieusement meublé, le plus digne d’être visité.

Ces petites toiles ne sont pas de grandes tentatives comme la Paye des moissonneurs, aujourd’hui au Luxembourg, ou le Vin, mais peut-être valent-elles mieux encore. Elles sont la récréation légère et féconde d’un talent puissant et mûr. Rien n’est cherché : tout est trouvé. Partout, un dessin admirable soutient, de son armature de fer, le mouvement, le modelé, la couleur. Le contour « rond » est absolument proscrit. Taillées comme par mille petits coups de serpe, ces figures où il n’y a que des plans plats « tournent » cependant, s’objectivent, s’installent en profondeur dans le tableau avec toute leur densité. Le dessin habituel de M. Lhermitte, qui n’est pas réduit au trait, mais est poussé jusqu’à la notation exacte de toutes les valeurs, et, dans les valeurs, jusqu’à l’illusion des papillotemens, des différentes couleurs, lui rend sa besogne de peintre plus facile. Dans ce sens, le mot d’Ingres : « Une chose bien dessinée est toujours assez bien peinte, » peut se comprendre. Car ce n’est pas précisément un coloriste que M. Lhermitte, et c’est cependant un peintre excellent.

Ce n’est pas un paysagiste non plus. Tant dans ses Lavandières que dans son Réveil du faucheur, c’est l’arrière-plan où la couleur est la moins sûre, ce sont les arbres, les eaux, les toits et les moissons dont la perte nous attristerait le moins. On se souvient que dans ses deux grandes œuvres : la Paye des moissonneurs et le Vin, il n’y avait pas de paysage. Mais dans l’Heureuse Famille, où le carré du paysage est moindre par rapport au carré des figures, l’harmonie est parfaite, et le naturel du ciel et de la terre vaut le naturel des gestes et des cœurs. La tonique des couleurs est un bleu d’où toutes les nuances découlent, où toutes reviennent. Le point d’attraction des lignes est l’enfant que la mère allaite et que regarde le père revenant du travail. La dominante rouge qui manque rarement chez M. Lhermitte n’apparaît qu’une fois : au centre du tableau. Il n’y pas là l’éclat du tableau