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pessimisme de la première moitié du siècle et le pessimisme actuel. Le premier était seulement poétique, sentimental, émotif; le second est philosophique et systématique. Le premier vient de Werther; le second de Schopenhauer. C’est pourquoi celui-ci s’est répandu plus facilement, car il est plus facile d’accepter une thèse toute faite, avec des argumens qui courent les rues, que d’éprouver des émotions byroniennes. C’est dire que le pessimisme est devenu populaire et en quelque sorte bourgeois. Mais l’inspiration première vient de Goethe et de Chateaubriand, de Werther et de René.

On voit que les vues littéraires de Pierre Leroux ne manquent pas de pénétration et de profondeur. Elles se rattachent à sa conception fondamentale, celle d’une religion nouvelle, la religion de l’humanité et du progrès. «Le ciel est sur la terre. » Telle est la formule qui résume toute, cette doctrine, c’est par cette formule que Pierre Leroux espère réconcilier la philosophie avec la religion.

Pour compléter l’exposition des doctrines de Pierre Leroux, il nous resterait à parler de ses idées socialistes. Mais nous avons volontairement écarté cette question, qui est plutôt du ressort de l’économie politique que de la philosophie. Disons seulement que Pierre Leroux, comme socialiste, ne nous paraît avoir aucune originalité, et qu’il est très inférieur aux trois grands socialistes, Fourier, Saint-Simon et Proudhon. Comme philosophe, il est digne d’être rappelé au souvenir des nouvelles générations, pour avoir condensé en une doctrine beaucoup d’idées diffuses et avoir revendiqué, sinon avec beaucoup de netteté et de précision, du moins avec passion et conviction, l’idée de l’humanité et celle de la solidarité.


PAUL JANET.