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lui montrant dans son plus grand ennemi, Pierre Leroux, cette théorie, vraie d’ailleurs, que l’époque de Louis XIII est plus grande et plus féconde que l’époque de Louis XIV; ainsi le grand pontife de l’éclectisme avait été précédé dans une de ses vues favorites par son plus implacable adversaire.

Donc, progrès en littérature aussi bien que dans les sciences, voilà la thèse de Ch. Perrault. Mais en passant de Pascal à Perrault, des sciences aux lettres, Pierre Leroux ne s’est pas aperçu que la question change de face. Autre chose est le vrai, et même si l’on veut, le bien, autre chose est le beau; il est facile de comprendre que, les expériences s’accumulant, et les connaissances s’accroissant et se liant entre elles, la science se fait et grandit sans cesse. Pour le bien, il y a plus de difficultés, parce que le mal croît avec le bien, et que l’on est toujours incertain de la proportion de l’un et de l’autre; mais enfin pour le bien matériel, il n’y a pas de doute, et c’est l’une des conséquences des progrès de la science; pour le bien social, il y a de grandes apparences qu’il peut s’accroître continuellement par le progrès des sciences morales; reste le bien moral proprement dit, pour lequel la question reste douteuse. Mais enfin pour le beau, c’est une tout autre affaire. Tandis que le vrai et même le bien relèvent de la raison, le beau dépend de l’imagination. Or pour le charme de l’imagination il faut une certaine jeunesse, une certaine fraîcheur, une certaine naïveté. De là vient que ce que nous appelons l’antiquité, qui est, relativement au moins, la jeunesse du monde (ætas florida mundi) a pu atteindre le point où réside la perfection de l’art. Nous, au contraire, les modernes, nous sommes, selon le mot de Pascal, les vrais anciens; nous glanons après les anciens qui sont les jeunes par rapport à nous. Ce qui explique l’erreur des partisans des modernes dans cette querelle, c’est d’abord leur ignorance de l’antiquité. Perrault et La Motte ne comprennent rien à Homère. D’ailleurs ils insistaient surtout sur les progrès de la raison, et c’était par la raison qu’ils mesuraient le mérite des œuvres d’art. Ce qu’ils appelaient la supériorité des modernes, c’était le progrès de l’ordre, de la convenance, de la régularité; au point de vue du goût, ils étaient à rebours de la critique moderne, ils rejetaient le familier, le naïf, le primitif, tout ce que la critique moderne a revendiqué contre la critique exclusivement classique. Au reste Pierre Leroux n’a pas tout à fait méconnu ce point de vue. Il remarque qu’on ne s’est pas