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dans la vie de chaque être en particulier. La vie universelle, c’est cette lumière supérieure qui nous fait voir spirituellement, c’est-à-dire juger, comprendre et raisonner. » C’est ce que nous apprend le passage de saint Jean déjà cité : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, la lumière qui illumine tout homme venant en ce monde ; » et celui de saint Paul : Unum corpus et unus spiritus ; unus pater et pater omnium, qui est super omnes, et per omnia et in omnibus nobis. » C’est la tradition de tous les temps. C’est le Mens agitat molem de Virgile; le Jupiter est quodcumque vides de Lucain. Pierre Leroux cite encore ce texte de Pascal : « Les parties du monde ont un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout. » Mais cette doctrine de l’unité de l’univers et de la vie en Dieu n’entraîne pas nécessairement le panthéisme : « Cette conception, dit-il, ne détruit pas l’individualité de chaque être, puisqu’il s’agit de la vie avant sa manifestation, avant toute création et toute existence. L’antique philosophie dont nous parlons a donc bien pu, sans anéantir pour cela les individualités, admettre un dieu antérieur à toute création, ou en transformant l’idée de création en celle de manifestation, antérieur à toute manifestation des existences individuelles, et comprenant en lui comme les parties de sa totalité toutes ces existences qui en découlent ; elle a pu, dis-je, faire cela sans anéantir pour cela l’individualité de chaque être qui ne vient qu’après la première hypostase de l’être existant par lui-même. » On peut se demander si en changeant l’idée de création en celle de manifestation on n’entre pas en plein dans le panthéisme, les êtres créés n’étant plus que des modes de l’être infini; à plus forte raison, si cet être est une « totalité » dont les êtres individuels sont les « parties; » enfin l’antériorité de l’être ne prouve pas la distinction; car la substance est antérieure à ses phénomènes, ce qui n’empêche pas qu’elle n’en soit la vraie réalité.

Pierre Leroux voit dans la doctrine de la trinité une réfutation du panthéisme : on ne devine point comment ; au contraire, en admettant l’unité de substance dans la pluralité des personnes, il semble que l’on affaiblisse l’idée de personnalité et l’argument qui se tire précisément de la multiplicité des personnes contre l’unité de substance. Mais à cette époque, la mode était à la trinité. M. de Bonald avait inventé la formule trinitaire de « la cause, du moyen et de l’effet, » qu’il traduisait théologiquement par cette