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Dès le 26 avril, quoique encore insuffisamment pourvus de matériel et d’approvisionnement, les corps se mettent en mouvement de tous les points du territoire, de Strasbourg à Alger, avec entrain. Canrobert devance ses soldats et arrive à Turin le 29 avril, pour les attendre et se concerter avec Victor-Emmanuel. Il apprend que, le même jour, l’armée autrichienne passe le Tessin.


II

Cette armée autrichienne, bien instruite, aguerrie, solide, offrait un total de 110 000 combattans et de 400 canons; elle était partagée en cinq corps d’armée, plus une division indépendante, et commandée en chef par le feld zeugmeister Giülay.

Giülay, brave, distingué, habile à manier les troupes et à les tenir en main, rompu aux détails du service, ne manquait ni d’audace ni d’initiative et n’était pas l’imbécile qu’on s’est plu à dépeindre ; mais, pourvu à une dose considérable de cet entêtement qui, bien employé, constitue une des qualités principales du général en chef, il avait une idée fixe, gagnée à l’école de, Radetzky, à savoir que la défense de la Lombardie est derrière le Mincio, non derrière le Tessin. Selon lui, il n’y avait qu’un plan : se retirer au centre du quadrilatère et là, formidable et indébusquable, attendre les alliés, les refouler, mettre leur armée en déroute, la pousser, l’épée dans les reins, au delà du Tessin.

Le jeune empereur et quelques-uns de ses conseillers militaires concevaient autrement la campagne. Ils espéraient le succès d’une prompte et vigoureuse offensive : il fallait devancer les alliés, ne pas leur laisser le temps de se réunir ; on était plus prêts, plus formés qu’eux, il fallait profiter de cet avantage, courir à marches forcées vers la Dora Baltea, se ruer tête baissée sur les petites troupes piémontaises, les jeter en l’air, traverser Turin sans s’y arrêter, se poster à Suse pour y attendre la gauche française, l’accabler par le nombre, courir ensuite vers Alexandrie, ne pas s’y arrêter, attendre aux débouchés de l’Apennin la droite française et lui faire subir le même sort qu’à la gauche.

Le grand homme eût adopté ce dernier plan ; cependant les bonnes raisons ne manquaient pas en faveur du premier. L’essentiel était de se prononcer résolument pour l’un ou pour l’autre et de n’en plus démordre. Adoptait-on la défensive de Giülay, il fallait lui laisser la liberté de la conduire à sa guise. Préférait-on l’offensive,