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en croire Saint-Simon d’un singulier stratagème. Il aurait fait le malade, et aurait contrefait une extinction de voix afin de pouvoir approcher la princesse de plus près et lui parler à l’oreille sans exciter les soupçons. Ici notre guide s’égare. La vérité, c’est que Maulevrier était réellement malade, comme sa fin prochaine devait le montrer, et atteint, suivant toute apparence, de l’une de ces nombreuses variétés de la tuberculose qui s’appelle la phtisie laryngée. Mais il sut mettre habilement à profit son extinction de voix pour augmenter sa familiarité avec la duchesse de Bourgogne, qui, durant toute l’année 1604, se trouva ainsi serrée de près entre lui et Nangis. Grâce à l’humeur extravagante de Maulevrier, peu s’en fallut même que les choses ne tournassent au tragique. « La mauvaise humeur de Mme de la Vrillière le tourmentoit. Il croyoit Nangis heureux et vouloit qu’il ne le fût pas. » Un jour, il poussa la folie jusqu’à faire une scène quasi publique à la duchesse de Bourgogne, en la ramenant de la messe depuis sa tribune jusqu’à son appartement. À voix basse, comme il lui parlait toujours, « il lui chanta pouille sur Nangis, l’appela par toute sorte de noms, la menaça de tout faire savoir au Roi et à Mme de Maintenon, au prince son mari, lui serra les doigts à les lui écraser, en furieux, et la conduisit de la sorte jusque chez elle. »

En même temps il s’en allait partout se répandant en propos injurieux sur Nangis, et parlant de lui comme d’un homme auquel il était résolu à demander raison. Nangis, tout brave qu’il fût, se pâmait d’effroi à l’idée de ce duel dont le motif véritable n’aurait échappé à personne et qui aurait à tout jamais compromis sa fortune. La princesse, de son côté, était dans des transes mortelles. Cette situation extrême dura environ six semaines. Tessé la dénoua par « un trait d’habile homme. » Il fit intervenir Fagon, qui prescrivit l’air des pays chauds pour la maladie dont Maulevrier était atteint, affirmant que le froid de l’hiver, où on allait entrer, le tuerait infailliblement. Tessé ne se le fit pas dire deux fois, et comme il partait en mission pour l’Espagne, il obtint que l’ordre de le rejoindre au plus tôt fût donné à ce gendre compromettant.

Le duc de Bourgogne ne s’était douté de rien en ce qui concernait Nangis. Il ne fut pas plus clairvoyant en ce qui concernait Maulevrier. Nous le voyons en effet, à la date du 6 novembre 1705, écrire à son frère, Philippe V, une lettre pressante pour le lui