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Elle était fille de Mme d’Heudicourt, une des plus vieilles amies de Mme de Maintenon, et femme de Jean-François Cordebœuf de Beauverger, marquis de Montgon, un de ces gentilshommes qui faisaient leur chemin non pas à Versailles mais à l’armée, et qui, de grade en grade, avait atteint celui de maréchal de camp. Saint-Simon, peu bienveillant pour elle, est cependant obligé de convenir qu’elle brillait d’esprit, de grâces et de gentillesse et qu’ « elle était plaisante et amusante au possible[1]. » Elle s’insinua rapidement dans les bonnes grâces non seulement de la duchesse mais du duc de Bourgogne, et nous allons la voir servant d’intermédiaire entre eux de bonne heure. Le duc de Bourgogne s’était mis avec elle sur un pied d’étrange familiarité.


Il faut avouer, lui écrivait-il la première fois qu’il dut se séparer de sa femme, que je me trouve bien solitaire les soirs quand je me couche et que j’aimerois bien mieux y trouver quelqu’un auprès de moy : mais hélas que je ne l’y trouverai de longtemps. Je crois que vous comprenez la peine que cela me fait me connaissant comme vous me connoissez, mais il faut en passer par là.


Les lettres qui nous ont été communiquées sont au nombre de seize, et toutes (sauf deux) datées de l’été 1703. Le duc de Bourgogne commandait à ce moment l’armée qui allait prendre Brisach et Landau. Elles sont écrites du camp. Mais elles n’ont rien de militaire. Elles ne sont remplies que de l’expression de sa tendresse pour la duchesse de Bourgogne, et aussi de ses plaintes de ce qu’elle ne lui écrit pas assez souvent. Nous extrayons de ces lettres quelques fragmens dont la répétition et la monotonie même sont attendrissantes à la longue, et font prendre en pitié ce jeune prince négligé.


Au camp de Hults, le 12 juin 1703.

Je suis étonné, Madame, de n’avoir point encor receu rien de vous et bien plus de l’irrégularité de Madame votre très illustre maîtresse, qui laisse passer un temps infini sans m’avoir écrit encor que deux lettres. (Suivent quelques détails sans intérêt; puis il reprend.) Je ne sçai si je ne vous ennuierai point d’en revenir à mes moutons, mais vous sçavez bien qu’il faut que j’en parle un peu à propos de cette irrégularité. J’ai résolu de ne me point mettre avec elle en reproches ; cependant je ne sçaurais souffrir cet article patiemment, et je fus véritablement

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. III. p. 222.