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difficile à dire. À la Cour, on le rendait volontiers responsable de ce qu’on trouvait à reprendre dans l’attitude du jeune prince. « M. de Beauvillier est un brave et honnête homme, écrivait Madame. Mais il est trop dévot pour bien élever de jeunes princes. Il ne leur a pas suffisamment appris à vivre et ne leur fait pas assez fréquenter le monde, de sorte qu’ils sont timides et ne savent que dire. On ne leur a même pas appris qui sont les personnes qui les touchent de près[1]. » Aucune lettre de Beauvillier au duc de Bourgogne n’a été conservée. Nous aurons occasion de nous servir plus tard de celles que le duc de Bourgogne lui adressait pendant ses campagnes. À lire ces lettres, il ne semble point qu’il reçût d’aussi fermes conseils de son ancien gouverneur que de son ancien précepteur. Le confesseur laïque, comme l’appelle si justement M. le marquis de Vogüé dans l’étude qu’il a faite de cette correspondance[2], paraît avoir eu la perception moins nette que le prêtre des inconvéniens d’une dévotion exagérée dans la situation du duc de Bourgogne. Beauvillier, qui non seulement assistait à la messe, mais communiait tous les jours, aurait un peu manqué d’autorité pour tempérer le zèle religieux de son ancien élève.

Pourquoi, au reste, attribuer à telle ou telle influence ce que la nature suffit elle-même à expliquer? La vérité, c’est que le duc de Bourgogne était demeuré entier et impétueux. La grâce n’avait pas transformé sa nature ; elle avait tourné ses ardeurs vers des objets différens. Il apportait dans la dévotion les mêmes excès qu’il aurait pu porter dans les plaisirs, et sa piété lui servait même de raison secrète pour se livrer à certains penchans qu’il eût mieux fait de combattre. C’est ainsi qu’ayant toujours eu dès son enfance l’instinct timide, l’entrée en relation difficile et la répugnance aux nouveaux visages, il prenait prétexte de la nécessité de fuir les tentations pour s’enfermer dans son cabinet, où il était assuré de ne voir personne et où il pouvait se livrer à ses goûts. Il n’avait pas encore atteint ce degré de piété supérieure qui consiste à se vaincre soi-même et à devenir véritablement un homme nouveau. Il y devait parvenir un jour, mais, à cette époque de sa vie, on peut dire que sa piété avait encore tous les défauts de son caractère. Un des moindres inconvéniens

  1. Correspondance de Madame. Trad. Jæglé, t. II, p. 176.
  2. Le duc de Bourgogne et Beauvillier, d’après une correspondance inédite, par le marquis de Vogüé, de l’Institut.