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était refusé : il avait inventé un genre de pointage absolument bizarre, appelé pointage avec le pouce. Pour la distance de deux cents mètres, le soldat visait avec une hausse fixée sur l’arme; pour celle de quatre cents mètres, il passait le pouce de la main gauche à cheval sur le canon et visait par le sommet de l’articulation ; pour six cents mètres, il levait le pouce et visait par le sommet de l’ongle. Comme tout cela était facile dans la mêlée! Aussi ce singulier mode de pointage faisait de ce fusil une arme médiocre.

Le fusil autrichien Lorenz[1] valait mieux : de petit calibre, rayé, il était muni d’une hausse permettant de viser à des distances variant de cent pas en cent pas jusqu’à la distance de six cent soixante-quinze mètres. Au contraire, le canon autrichien, à âme lisse, ne valait pas nos canons rayés de 4 et de 12. En 1845, un officier piémontais, Cavalli, avait proposé d’appliquer aux bouches à feu le perfectionnement qui avait donné de si bons résultats dans les armes portatives ; des expériences avaient été faites à partir de 1851 au polygone de Vincennes, puis à La Fère. La question s ‘éternisant dans des commissions, l’Empereur avait ordonné au général de La Hitte, président du comité d’artillerie, de la résoudre seul, en lui traçant le programme à remplir. Le 6 mars 1858, le système proposé par le général avait été adopté. Mais une si importante transformation demandait du temps. À la déclaration de guerre, nous n’avions de disponibles que dix batteries complètes, soit 60 bouches à feu sur les 366 que devait compter l’équipage de l’armée ; les parcs d’artillerie et le grand parc roulant n’étaient pas constitués. On était encore plus en retard pour l’équipage de siège : il restait à rayer les pièces, à couler les projectiles, à réunir les accessoires. Les équipages du train faisaient défaut.

On n’avait pas le nombre suffisant de chirurgiens et d’infirmiers. Dans les services administratifs, les manquans étaient considérables en souliers, approvisionnerons, effets de linge ou d’habillement, ferrures, musettes, bissacs, entraves, forges de campagne, etc. La plupart de ces objets existaient en quantité surabondante dans les magasins, mais on manquait de moyens pour les en faire sortir et les amener aux troupes. Ainsi, le 22 juillet, il y avait à Gênes 1 800 colis, le 14 août 600, le 6 septembre

  1. Du nom de l’officier autrichien inventeur de la balle.