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La pensée des docteurs s’exprima aussi impérieusement dans les statues des portails, pour lesquels le prêtre ne pouvait donner à l’artiste aucun modèle d’origine sacerdotale, que sur les grands vitraux où le dessinateur reproduisait fidèlement des peintures monacales.

Il y a plus : c’est diminuer l’œuvre extraordinaire que la théologie du XIIe et du XIIIe siècle a produite en France avec le concours de l’art nouveau, que d’y voir la suite régulière d’une œuvre commencée depuis les origines de l’Église. Tant que les images destinées à l’instruction des fidèles ont été reproduites par les peintres suivant l’ordre établi et les modèles prescrits, la conception s’immobilisait comme l’exécution. Les ateliers se transmettaient la liste des sujets et les poncifs, sans que le théologien eût à intervenir de sa personne. Mais, quand les moyens d’expression, que les arts avaient offerts jusqu’alors à la foi et à la doctrine, se trouvèrent entièrement changés, l’Église elle-même put enrichir la série des conceptions théologiques dont elle confia la réalisation aux artistes. Un fait frappant, pour peu que l’on étudie l’art français du XIIe et du XIIIe siècle dans ses rapports avec l’art français ou étranger des siècles antérieurs, c’est qu’il apparaît dans les cathédrales un grand nombre de figures et de scènes allégoriques, qu’on ne trouve pas auparavant dans l’iconographie monumentale. Des motifs compliqués, qui étaient restés confinés dans les manuscrits, sont montrés au peuple sur les vitraux et sur les portails. Du même coup, la disposition traditionnelle des images saintes est profondément modifiée. L’ordre des peintures qui se juxtaposaient sur les murs des nefs était un ordre historique. Au contraire, les sculptures des portails, qui devaient se plier à la symétrie architecturale, furent ordonnées par rapport à un centre ; en même temps, le théologien qui, sans aucun doute, combinait l’arrangement de chaque figure avec l’artiste, imposa aux statues et aux bas-reliefs un ordre logique. Ainsi un portail fut à la fois un système organique de colonnes et d’archivoltes, et la démonstration complète de quelque grande vérité; il fut une construction géométrique et scolastique. On voyait, dans les peintures d’une église du XIe siècle, quelques récits de la Bible ou de l’Evangile; au porche vieux de Chartres, Didier a pu reconnaître tout un abrégé de l’histoire chrétienne du monde, une Somme en raccourci. La tradition que se transmettaient les peintres anciens était l’enseignement commun des Livres saints : les conceptions