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les « idoles. » Le bon théologien se serait cru, je gage, ensorcelé ou possédé.

Que s’était-il donc passé entre la première moitié du XIe siècle et la seconde moitié du XIIe? Il faut l’avouer, nous l’ignorons encore, et une nuit totale enveloppe les origines de la sculpture française, c’est-à-dire de toute la grande sculpture du moyen âge. M. le professeur Vöge avait cru démontrer que l’art de la statuaire s’était conservé obscurément dans la Provence, et que le premier des grands portails ornés de statues était celui de Saint-Trophime, dont le plus ancien portail de Chartres aurait simplement développé l’ordonnance. La thèse pourrait nous séduire, car après avoir entendu les propos de l’écolâtre Bernard, il serait beau de voir la sculpture monumentale renaître en terre romaine, dans la province de France qui conservait le plus de monumens et de traditions antiques. Mais les dates sont en désaccord avec les inductions élégantes du savant allemand, et il paraît établi que le portail de Saint-Trophime est postérieur à celui de Chartres : c’est ce dernier qui aura été le modèle de l’autre ; les rôles se renversent et de nouveau la nuit s’étend. Il reste avéré que les plus anciens monumens de la sculpture en France appartiennent au Languedoc, à la région toulousaine et albigeoise. M. Vöge a prouvé que les sculptures des portails de Saint-Denis décorés au temps de Suger ont été exécutées par des ouvriers venus de ces ateliers robustes qui avaient fait saillir tant de figures barbares et puissantes sur les façades de Moissac, de Souillac, de Toulouse. Mais la formation même des écoles de sculpture du sud-ouest de la France demeure un événement artistique dont les antécédens nous échappent complètement. Une seule chose est certaine, c’est qu’aucun concile, aucun docteur n’a prononcé au XIe siècle une sentence qui aurait relevé la sculpture de l’état de dépendance où elle était réduite. La victoire du vieil art païen n’a pas suivi une décision théologique, et ce sera dans des causes d’ordre technique qu’il faudra chercher l’explication du grand fait qui a fait dévier le développement régulier de l’art chrétien, à partir du jour où la sculpture a pris possession du domaine religieux réservé pendant cinq siècles à la peinture.

Au moins peut-on considérer le fait accompli et en mesurer l’étendue. Un mot dira tout: la sculpture au XIIe siècle était un art sans tradition. Ce serait une étude précieuse, et que M. Mâle, je l’espère, nous donnera un jour, que l’étude iconographique de