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inertes, à vivre uniquement de l’équilibre de forces contraires, pesées et résistances, et à remplacer peu à peu la masse inutile du mur de pierre par la cloison de verre. Il est aujourd’hui superflu de démontrer que l’Église n’a été pour rien dans l’adoption de l’artifice de construction qui libéra l’architecture française de toutes les formules anciennes : la croisée d’ogives est une trouvaille de maçon. De même, l’industrie des peintres verriers n’est pas née dans un cloître. Cette mosaïque de vitres colorées, découpées au fer rouge et serties dans un réseau de plomb, supposait, pour la fabrication de ses matières premières, une connaissance des recettes de la chimie orientale, qui paraît s’être répandue en pays germanique, avant de pénétrer en France. Il est possible qu’en Allemagne des personnes ecclésiastiques aient eu connaissance de ces secrets, puisque le moine Théophile les indique dans sa Schedula diversarum artium; et rien n’empêche d’admettre que des prêtres allemands aient été à l’occasion peintres de vitraux, comme Tutilo de Saint-Gall et saint Bernward d’Hildesheim avaient été mosaïstes et fondeurs. Mais, en France, il n’y eut pas au XIIe siècle d’évêques ou d’abbés artistes : les ouvriers de Suger, même les étrangers, sont des laïcs.

Cependant, si la technique des vitraux était chose profane, il est certain que l’iconographie adoptée par les artistes qui les dessinaient sur une table enduite de craie, demeura fixée jusqu’au milieu du XIIIe siècle par des traditions d’Eglise. Je ne parle pas seulement des indications données par les théologiens qui ont confié avec prédilection l’exposé des symboles les plus mystérieux à ces figurines qui se groupaient dans des compartimens rectangulaires ou circulaires, comme des idées dans les formes scolastiques, et qui en même temps, fragiles et transparentes, semblaient traversées à la fois par le rayonnement du jour et par l’illumination de la science suprême.

La plupart des vitraux français du XIIe siècle sont imités de miniatures dont on peut désigner la provenance, et non inspirés directement par les textes ou les savans. Ainsi M. Mâle nous présente (. 277, fig. 71) un fragment d’un vitrail du Mans, où se trouve figurée la légende des deux sages-femmes, Salomé et Zélémis, qui lavèrent l’enfant Jésus après sa naissance. Mais il ne faudrait pas croire que la composition eût été imaginée au XIIe ou au XIIIe siècle par un artiste auquel aurait été communiqué le passage des Apocryphes, car déjà la scène se trouve représentée