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débusquer Beauvillier. Mme de Maintenon aurait donc entrepris le siège de Louis XIV. La condamnation de Fénelon à Rome souffrait quelques lenteurs et quelques difficultés. Mme de Maintenon en aurait profité pour donner des scrupules au Roi. Elle lui aurait représenté que c’était pour lui un devoir de conscience d’enlever à la mauvaise cause les appuis dont elle se prévalait, et qu’il en répondrait devant Dieu, s’il laissait dans les places de son Conseil et dans celle de gouverneur de ses petits-fils, « avec un nombre de subalternes qu’il y avoit mis et qui étoient tous d’une même doctrine, » le plus grand protecteur et le plus déclaré de l’archevêque de Cambrai ; qu’il était temps de renverser un si grand obstacle, et de montrer au Pape par cet exemple qu’il n’avait aucune sorte de ménagement à garder. Enfin « serrant la mesure, » et levant le masque, elle aurait fini par proposer au Roi le duc de Noailles pour toutes les places de Beauvillier[1].

A tout prendre, et bien que la version de Saint-Simon ait été adoptée par certains auteurs[2], ce ne sont là que des conjectures ; et rien n’établit d’une façon certaine que Mme de Maintenon ait poursuivi contre Beauvillier ces basses menées. Comme en beaucoup d’autres matières, il est assez difficile, à travers la réserve et les sous-entendus de sa correspondance, de démêler son rôle avec exactitude. Qu’elle ait porté un intérêt passionné à ce qu’on appelait alors « l’Affaire, » et qu’elle ait travaillé à compléter la disgrâce de Fénelon et de son petit groupe, cela n’est pas douteux. « J’ai parlé au Roi pour ôter ceux qui environnent les princes, écrivait-elle à l’archevêque de Paris[3], et j’ai fini mon discours en disant que je ne pouvais pardonner au duc de Beauvillier d’avoir chez lui les amis de Mme Guyon, les connaissant pour cela de longue main. Le Roi me parut disposé à parler franchement à M. de Beauvillier. S’il ne le fait pas dès demain, ce sera une grande marque du crédit de ce ministre. » Mais rien n’établit qu’elle ait travaillé directement contre Beauvillier lui-même, ni

  1. Saint-Simon, édit. Boislisle, t. V, p. 144 et suiv.
  2. M. Griveau, en particulier, dans le second volume de son étude : la Condamnation du livre des Maximes des Saints, s’appuie pour confirmer les accusations de Saint-Simon sur certaines lettres de Mme de Maintenon, auxquelles il assigne une date différente de celle que leur attribue Lavallée dans son édition de la Correspondance générale de Mme de Maintenon. Sans adopter les conclusions de M. Griveau, nous ne pouvons que renvoyer, pour une discussion détaillée, à cette substantielle étude.
  3. Lavallée, t. IV, p. 102. Lettre du 29 mai 1697. M. Griveau place cette lettre, non sans raisons plausibles, en 1698,