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ses journées. Il complétait par lui-même son éducation, et se pénétrait des connaissances qu’il jugeait nécessaires à l’exercice de son futur métier de roi. « Il n’y avoit rien dans les sciences d’assez subtil pour le dégoûter ni lui échapper, dit le Père Martineau, son confesseur[1], mais il donna la préférence à l’étude de la morale, témoin l’extrait suivi et lié qu’il fit de la République de Platon. Et, comme il étoit persuadé que la justice est le fondement de la vraie politique, il apprit les principes de la jurisprudence Romaine et Françoise. »

Ce n’était pas seulement dans la République de Platon que ce jeune prince studieux cherchait à apprendre l’art de gouverner, c’était encore dans des documens plus récens et mieux faits pour l’instruire. On se souvient que, l’année même de son mariage, les intendans avaient reçu l’ordre de dresser chacun un état de sa généralité et de le faire parvenir au Roi « pour servir à l’éducation de M. le duc de Bourgogne. » Il n’avait pas fallu moins d’un an pour dresser ces mémoires, très détaillés et très complets, à en juger par le Mémoire sur la généralité de Paris qui est aux Affaires étrangères[2]. Si, comme il n’y a pas lieu d’en douter, tous ces mémoires furent soigneusement dépouillés par lui, s’il en fit des extraits, comme c’était sa coutume pour les ouvrages qui l’intéressaient, il y eut là de quoi occuper sérieusement les heures que la duchesse de Bourgogne passait à se promener en compagnie du Roi. Les renseignemens de nature si diverse, que les intendans avaient rassemblés dans leurs rapports, se gravaient dans son esprit avec précision. Aussi comprend-on cet éloge qui était fait couramment de lui : « qu’il connaissait la France aussi bien que le parc de Versailles. »

En même temps, il ne se relâchait pas d’exercer sur lui-même un travail incessant de surveillance, qui achevait de transformer son caractère. Ce travail devait, à la longue, donner à sa vie comme à sa personne une empreinte d’austérité dont les courtisans, ses futurs sujets, ne laissaient pas de s’inquiéter un peu, mais dont se félicitait son confesseur. « Devenu son maître, dit encore le Père Martineau, et laissé, pour me servir de l’expression de l’Écriture, dans la main de son propre conseil, il continua de vivre avec une régularité où ceux qui jusqu’alors avoient regardé ses

  1. Recueil des vertus du duc de Bourgogne et ensuite Dauphin, pour servir à l’éducation d’un grand prince, par le R. P. Martineau, son confesseur, p. 86.
  2. Affaires étrangères. Mémoires et documens, France, 1695.