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ceux mêmes qui leur reprochent avec le plus de vivacité d’avoir porté atteinte à la loi trouvent tout naturel et tout simple qu’un journal se soit permis de publier avant l’heure le dossier d’une instruction judiciaire ? Le secret de l’instruction, jusqu’au moment où s’ouvre l’audience publique, est-il donc une vaine formalité ? Alors, il faut le supprimer de nos codes ; mais, aussi longtemps qu’il y est resté prescrit, il faut en assurer le respect. Nous croyons, quant à nous, que ce secret est nécessaire pour permettre au juge, quel qu’il soit, d’étudier, en dehors de toutes les suggestions extérieures, l’affaire qui lui est confiée. Les bruits de la rue ne doivent pas avoir accès dans son cabinet, pas plus qu’ils ne doivent agir sur son jugement ou sur sa conscience. Nous voulons croire que la plupart des juges savent s’abstraire de ces influences si souvent passionnées, toujours diverses et mobiles ; mais en sont-ils tous capables au même degré, et la plus parfaite probité professionnelle les garantirait-elle sûrement contre les impressions de l’atmosphère ambiante ? Il y a des gens, à la vérité, — et au cours de l’affaire Dreyfus le nombre s’en est singulièrement accru, — qui sont ou qui semblent partisans d’une collaboration continuelle entre le juge et le public. On en voit qui sont tout fiers des services qu’ils croient avoir rendus. Sans eux, disent-ils, on n’aurait pas su telle chose, on n’aurait pas découvert telle autre. D’abord ils n’en savent rien, et, quand même leurs prétentions seraient justifiées une fois, par aventure, elles feraient encore, dans leur ensemble, plus de mal qu’elles ne peuvent faire de bien. En tout cas, ce n’est nia l’intervention, ni aux investigations de la curiosité publique qu’il faut attribuer la découverte du faux Henry, qui seul a pu donner ouverture à la demande en révision. Les plus fougueux défenseurs de cette révision, ceux qui ne reculaient devant aucun moyen pour l’obtenir et qui se montraient le moins difficiles sur leur choix, avaient irrémédiablement compromis leur cause, lorsque la nouvelle du faux Henry a retenti un jour sur nos têtes comme un coup de foudre. Est-ce à la vivacité des polémiques des journaux ou à la perspicacité des journalistes qu’en revient le mérite ? Non : le ministre de la Guerre seul, dans le silence du cabinet, en étudiant les pièces de plus près, en les éclairant de la lumière crue d’une lampe, a fait cette découverte, et, si ce n’est pas lui personnellement, c’est un des officiers de son cabinet agissant d’après ses ordres. M. Cavaignac était pourtant l’adversaire le plus déterminé de la révision, et il ne cherchait pas ce qu’il a trouvé. Qu’on vienne nous dire, après cela, que, sans l’intervention de l’opinion publique, rien de ce qui est arrivé ne serait arrivé, rien de ce qui a été fait n’aurait été fait ! Les partisans quand même de la