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plusieurs de ceux qui, dans la commission, avaient voté d’une manière, votent d’une autre à la Chambre ? C’est que, dans le premier cas, ils votent pour satisfaire leur conscience, ce qui leur est d’autant plus facile que le vote est anonyme ; dans le second, au contraire, ils votent pour satisfaire leurs électeurs, et leur nom est reproduit par l’Officiel. Que devient un rapporteur chargé de soumettre une opinion, qui la soutient, et qui est renié par ceux au nom desquels il parle ? M. Pelletan a connu cette épreuve. Les bonnes âmes compatiront à sa peine ; d’autres penseront qu’il est fâcheux d’avoir une commission du budget dépourvue de toute action sérieuse sur la Chambre. Les radicaux qui avaient été élus dignitaires de la commission ont payé cher cet honneur : après cette première, mais illusoire satisfaction, ils ont été continuellement battus dans le détail des affaires, et on a pu constater une fois de plus la double tendance des assemblées démocratiques, qui font d’abord des choix médiocres, et ensuite ne tiennent aucun compte de leurs élus.

Le Parlement est donc parti pour ses vacances sans les avoir bien méritées. Après moins d’une année d’existence, il est peut-être trop tôt pour juger la Chambre nouvelle ; pourtant, elle a déjà manifesté son caractère à des signes qui ne trompent guère : grande incapacité pratique, absence complète d’orientation politique. Nous venons de parler de son incapacité pratique : quant à son orientation politique, où la trouver ? A peine réunie, elle a laissé tomber le ministère Méline ; il lui semblait trop modéré. On lui a donné un ministère radical ; elle l’a renversé. Faut-il en conclure qu’elle n’est ni modérée, ni radicale ; alors qu’est-elle ? Elle a aujourd’hui un ministère qui ressemble à un syndicat des opinions les plus différentes, moitié modéré et moitié radical, un peu pour tous les goûts. La Chambre, jusqu’ici, l’a laissé vivre beaucoup plus qu’elle ne l’a fait vivre : il est vrai que, pour le soutenir, il aurait fallu que quelqu’un l’attaquât. Le ministère n’a rien fait, personne n’a rien fait contre lui, la Chambre n’a rien fait pour lui. Comment expliquer cette espèce d’atonie ? C’est que toute l’activité politique se trouve pour le moment suspendue et paralysée, et le restera jusqu’à la fin de l’affaire Dreyfus, qui pourrait bien durer encore plus qu’on ne le croit. L’apparente solidité du ministère, ou du moins la paix dont il jouit et profite, vient de ce que nul, pour le moment, n’a envie de prendre sa place. Il l’occupe : autant que ce soit lui qu’un autre ; laissons-le où il est : on verra plus tard ! S’il s’était mêlé activement aux débats parlementaires, s’il y avait apporté des principes, des idées, des projets, la trêve aurait eu plus de peine