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nous tromper ; mais, quand même nous nous tromperions, il n’en resterait pas moins vrai qu’en pleine paix, et sans aucune raison particulière, nos dépenses se sont accrues alors qu’elles auraient dû diminuer.

Cela vient de deux causes. La première est la générosité avec laquelle beaucoup de députés disposent des deniers publics. Ils avaient pris tant d’engagemens au cours des élections dernières qu’ils ont voulu en tenir quelques-uns, d’où un assez grand nombre d’amendemens destinés à grossir les dépenses au profit de tel groupe de citoyens, mais au détriment de tous les autres. Le second motif est le manque presque absolu de contrepoids que ces tendances ont rencontré dans le Gouvernement, ou dans la commission du budget. Rien n’égale l’indifférence avec laquelle le ministère a assisté à toute cette discussion, et, quand nous disons qu’il y a assisté, le mot n’est pas tout à fait exact : la vérité est que le président du Conseil et le ministre des Finances étaient le plus souvent absens : le ministre spécial qui était en cause était laissé sur la sellette, seul et sans défense suffisante. Ses collègues paraissaient se désintéresser de ce qui pouvait lui arriver. Au ministre personnellement, il n’arrivait rien de mal : c’est son budget qui était mis au pillage. La commission l’aidait quelquefois à le défendre, mais son intervention était presque toujours inefficace. Jamais encore on n’avait vu une commission aussi dépourvue d’autorité. La majorité en est radicale : le choix qu’elle a fait de son président et de son rapporteur général en est la preuve. On pouvait espérer qu’à défaut d’autres avantages, ces choix auraient celui d’imposer plus de ménagemens aux radicaux. Mais non ! MM. Mesureur et Pelletan ont été traités par leurs amis comme s’ils avaient été de simples modérés. Certaines journées ont ressemblé pour eux à une véritable débâcle : il suffisait qu’ils fissent une proposition pour qu’elle fût repoussée, ou qu’ils s’opposassent à une autre pour qu’elle fût adoptée. M. Pelletan, qui en a pourtant vu bien d’autres, a fini par se fâcher ; il a menacé de donner sa démission ; mais il était déjà bien tard, le budget était presque complètement voté. D’ailleurs la susceptibilité de M. Pelletan était légitime. Aussi longtemps qu’il n’avait eu contre lui que la majorité de la Chambre, il s’était contenu ; mais le jour où il a été désavoué par la majorité de la commission elle-même, il a détourné ses lèvres de la coupe d’amertume. Un rapporteur ne fait que rapporter l’opinion de ses collègues, sans que ce soit toujours la sienne propre : il remplit une fonction qui exige parfois de sa part de pénibles sacrifices. Quel ne doit pas être son étonnement lorsqu’il constate que