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pardonner : il a résolu qu’ils mourraient, et déjà le bourreau les attend pour les tuer. Mais voici que le cardinal Hippolyte vient, à son tour, intercéder pour eux. Depuis son attentat sur don Giulio, le cardinal est hanté d’affreuses visions : il craint que la mort de son frère ne lui rende le remords encore plus cruel. Et Alphonse fait grâce de la vie aux deux conjurés ; mais Ferrante, fatigué de vivre, se tue, tandis que Giulio, ramené par le malheur à des sentimens chrétiens, accepte avec joie l’emprisonnement perpétuel, qui va lui permettre de racheter ses fautes.

Dans la seconde moitié du roman, à peine un peu moins longue que la première, Giulio et Angela ne paraissent, pour ainsi dire, plus. Nous voyons seulement, au dernier chapitre, Angela se mariant en secret avec le jeune aveugle, et obtenant du duc sa mise en liberté. Et tout le reste de cette seconde partie est consacré au récit des aventures du juge Hercule Strozzi, victime de son amour pour Lucrèce Borgia.

Celle-ci, en effet, reçoit une lettre de son frère César, lui annonçant qu’il s’est échappé de sa prison, et lui demandant de déléguer auprès de lui un homme en qui il puisse avoir une confiance absolue. Lucrèce, incapable de résister à la fascination que son frère exerce sur elle, passe outre à la défense de son mari, qui a juré de punir sans pitié quiconque entrerait en relations avec César Borgia. Se rappelant l’amour qu’éprouve pour elle le juge Strozzi, elle lui, donne un rendez-vous, le flatte et le cajole, lui promet d’être à lui s’il consent à aller se mettre au service de son frère. Et Hercule y consent : il s’enfuit de Ferrare, rejoint le Borgia, l’encourage dans son projet de conquérir l’Italie. Mais le Borgia est tué ; Lucrèce, délivrée de son charme, redevient une épouse fidèle : et quand Strozzi, accouru près d’elle, lui réclame les baisers qu’elle lui a promis, elle le livre sans pitié à la vengeance de son mari. Celui-ci, qui ne veut point que mention soit faite de Lucrèce dans un procès, accueille Strozzi avec grande amitié, l’interroge sur diverses affaires en cours, le reconduit aimablement jusqu’à la porte du palais : et l’on retrouve, le lendemain, le cadavre du malheureux juge, la tête séparée du tronc, le corps percé de vingt-deux coups de poignard. Sa veuve, quelque temps après, se marie avec l’Arioste.

Ainsi, de deux épisodes historiques, C. -F. Meyer a fait un roman, ou plutôt deux romans accolés l’un à l’autre. C’est de la même façon qu’il a, dans Georges Jenatsch, raconté la révolte de la Valteline et l’émancipation des Grisons ; que, dans le Saint, il a pris pour sujet la longue et aventureuse carrière de Thomas Becket ; et que sa Tentation de Pescara est une véritable biographie du fameux vainqueur de Pavie.