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attribua sa mort à la jalousie du duc Alphonse, qui avait tenté de séduire sa femme, et en avait été repoussé. Un parent d’Hercule Strozzi, Tito Strozzi, était juge à Ferrare : sa femme, après sa mort, épousa en secondes noces le poète Arioste.

C’est de tous ces faits que Meyer a formé son roman, sauf à les modifier suivant sa fantaisie. Le premier chapitre décrit l’entrée à Ferrare de Lucrèce Borgia, amenant avec elle sa cousine Angela, jeune fille d’une beauté et d’une fierté toutes romaines. Arrivé devant le Palais Ducal, le cortège s’arrête, et la nouvelle duchesse, suivant l’usage, va ouvrir aux prisonniers la porte de leurs cachots. Un de ces prisonniers est le frère du duc Alphonse, Don Giulio, incarcéré pour avoir poignardé le mari d’une de ses maîtresses : et, au moment où il s’incline devant sa libératrice, Angela lui crie, en présence de la cour et du peuple de Ferrare : « Honte, honte éternelle à vous, Don Giulio ! Craignez la justice de Dieu ! »

Le jeune prince, cependant, ne songe pas à s’amender. Dans un entretien avec le juge Hercule Strozzi, il avoue que la beauté d’Angela lui fait paraître laides toutes ses maîtresses ; mais il craint que l’austère jeune fille ne le méprise, et lui-même, d’ailleurs, commence à se sentir plein de mépris pour sa dégradation. Strozzi, de son côté, confesse qu’il aime éperdument Lucrèce Borgia. Puis les deux amis se séparent ; et don Giulio, s’étant étendu sur un banc du parc de Belriguardo, et s’étant endormi, voit en rêve Angela, qui lui verse dans les yeux un liquide brûlant. Hélas ! son rêve va se changer bientôt en réalité. Le cardinal Hippolyte d’Esté, en effet, par jalousie de son frère Giulio, s’emporte à parler de lui en des termes si injurieux, qu’Angela, révoltée, lui dit : « Don Giulio a du moins pour lui d’avoir de beaux yeux ! » Et le cardinal ordonne à ses gens de crever ces beaux yeux.

Giulio, aveugle, traîne son ennui dans sa villa de Pratello. Un jour, Angela s’approche de lui, dans le jardin de la villa, essaie de le consoler, lui demande pardon d’avoir été involontairement la cause de son infortune. Et Giulio, sans comprendre ce qu’elle entend par-là, comprend qu’elle souffre, elle aussi. Rentré chez lui, il écrit quelques mots à son frère don Ferrante, qui, maintes fois déjà, lui a proposé de s’unir à lui pour tuer le duc et le cardinal. Giulio, qui s’était toujours refusé à ce projet, écrit, cette fois, qu’il y consent. Quelques heures après, on vient l’arrêter : sa lettre imprudente a été saisie et remise au duc.

Dans une petite salle du palais, le duc Alphonse fait venir devant lui don Giulio et don Ferrante. En vain Angela le supplie de leur