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affaires, je donnai l’ordre de l’introduire dans la pièce voisine. Lorsque j’entrai dans cette pièce, l’homme s’était endormi, sous la lourde influence de la chaleur, et il parlait en rêve d’une manière incohérente. Le peu de mots qui lui échappèrent me permirent toutefois de deviner sa pensée. Si j’ai bien compris, Votre Majesté aurait, je ne sais de quelle manière, mortellement offensé cet homme, car il était décidé à se défaire de Votre Majesté à tout prix, ou plutôt, je suppose, à un prix convenu. J’éveillai le donneur, sans perdre avec lui mes paroles, sauf pour m’informer de l’affaire qui l’amenait auprès de moi. Il s’agissait d’obtenir des renseignemens sur certain personnage passé au service de l’Empereur. Je congédiai l’homme, devinant la ruse. Je ne lui demandai naturellement pas son nom ; il ne m’eût pas donné son nom véritable. Quant à faire arrêter cet homme, sur le témoignage de quelques mots qui lui étaient échappés en rêve, cela ne pouvait se faire, car c’eût été d’une criante injustice… Mais j’ai cru devoir avertir Votre Majesté. J’ajouterai que le dormeur était mince, élancé ; il portait sur le visage un de ces masques, étroits et adhérens, qu’on fabrique à Venise avec un art consommé. Sa voix était agréablement timbrée, un contralto profond, une voix toute semblable à la voix de votre page ; et le gant qu’a laissé tomber cet homme, et que voici, paraît fait exprès pour ce même jeune page. »

L’homme qui est venu au camp de Wallenstein, c’est, naturellement, le duc de Lauenbourg ; et Gustel doit le savoir, puisqu’elle a constaté déjà combien l’apparence et la voix de ce ténébreux seigneur ressemblaient aux siennes. Mais, ayant entendu l’entretien de Gustave-Adolphe et de Wallenstein, — car elle était cachée derrière une tenture, — elle prend peur ; et quand le roi, ensuite, lui demande si le gant n’est pas à elle, au lieu de dire à qui il est, elle s’enfuit. Gustave-Adolphe ne la revoit plus qu’à Lützen, où elle se retrouve à point pour le recueillir dans ses bras, lorsqu’une balle du traître Lauenbourg l’a mortellement blessé. Et le page fidèle meurt sur le cadavre de son maître ; et son cousin Auguste Leubelfing a beau vouloir reprendre son nom, que jadis il lui a prêté, c’est sous le nom d’Auguste Leubelfing que Gustel est enterrée dans l’église de Naumbourg.

Telle est cette histoire, qui passe couramment pour le chef-d’œuvre de Conrad-Ferdinand Meyer. Dans ses leçons à l’Université de Bâle, M. Hans Trog l’appelle « la plus charmante des idylles historiques. » Il ajoute « qu’un grand souffle d’héroïsme la traverse d’un bout à l’autre. » « Un admirable sujet et une œuvre magnifique, » écrit, de son côté, Mme Lina Frey. Et la visite de Wallenstein à Gustave-Adolphe, en