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et, pour ainsi dire, il promène nos yeux sur un mal hideux, ajoutant ainsi à notre angoisse morale une sorte de torture physique. Ce savant qui, par erreur, a planté le germe d’un mal impitoyable dans la chair d’un être plein de vie, hélas ! et plein de santé, nous apparaît comme un bourreau grotesque et la présence nous en est intolérable. Il y a mieux, et c’est toute une perspective d’horreur qui s’ouvre devant nous au dénouement. Car le savant, en manière d’expiation, s’est à son tour inoculé la maladie. La victime et le bourreau, rongés par le même mal, vont s’enfermer dans une maison de campagne pour y subir, dans le tête-à-tête, les sûres approches d’une mort dégoûtante. Et nous devinons qu’une sympathie inavouée les attire l’un vers l’autre. Nous emportons la vision de cauchemar de cet amour entre cancéreux. Mais cette situation, par ce qu’elle a de violent et de violemment exceptionnel, a réjoui l’imagination romantique de l’auteur.

Une pièce de théâtre n’est pas un dialogue philosophique. Or, les personnages de M. de Curel ignorent totalement que nous sommes dans la salle, que nous les écoutons, et que notre patience a des bornes. Ils dissertent, ils argumentent, ils font alterner les tirades abstraites avec les couplets lyriques, et s’abandonnent à tous les caprices de leur fantaisie pédantesque. Le second acte de la Nouvelle Idole est en ce sens un chef-d’œuvre de maladresse. Au moment où le savant, Albert Donnât, vient d’avoir la révélation de son crime, et lorsque nous sommes uniquement curieux de savoir quelles en seront les conséquences, on nous introduit chez son ami le psychologue. On égaie la scène par la méprise, comique cette fois, d’un garçon de laboratoire qui prend une visiteuse saine d’esprit pour une hystérique venue à la consultation. Puis, c’est un long développement sur les méthodes, sur les résultats, sur les desiderata et sur l’avenir de la psychologie. On va jusqu’à nous décrire un appareil enregistreur destiné à mesurer l’intensité des émotions. « Il se compose d’un cylindre recouvert d’un papier enduit de noir de fumée. Contre ce cylindre appuie la pointe d’un stylet. Ce stylet, au moyen de ce tube en caoutchouc, etc. » J’ignore si la description de cet appareil, dans un cours professé à l’École de médecine ou à la Salpêtrière, provoquerait notre admiration. Au théâtre, elle produit un effet de stupeur.

Ce qui importe surtout dans une pièce à idées, c’est que l’idée de l’auteur apparaisse dans tout son jour. Dans la Nouvelle Idole, comme c’est l’ordinaire dans les pièces de M. de Curel, l’idée reste incertaine, douteuse, enveloppée de nuages. M. de Curel (a-t-il voulu faire le procès de la Science ? On est tenté de le croire, et c’est