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folie furieuse ; Robin Costeau ne se résigne pas à faire enfermer cette mégère, ainsi que feraient allègrement tant de bourgeois : il lui est reconnaissant des beaux jours d’autrefois, et, en mémoire de l’idylle passée, il lui garde sa place au foyer. Les sentimens de famille sont chez lui extraordinairement développés. Bon époux, il est le modèle des pères. Au cours de sa vie aventureuse, il a connu bien des traverses, vu beaucoup de choses, coudoyé beaucoup de gens, et il a pu juger le train du monde. Il s’est fait une philosophie et cette philosophie est sans amertume. Quels qu’aient pu être à son égard les torts de la destinée, il ne lui jette pas l’anathème ; il n’a pas le geste qui maudit, mais bien plutôt le geste bénisseur. Il ne se plaint pas ; il estime qu’il a été heureux, et il nous livre avec le dernier mot de son expérience le secret du bonheur : c’est d’être bon. — Nous nous demandons : Quelles auront donc été, durant les années de sa vie mortelle, les occupations ordinaires de ce saint homme ? Elles ont consisté à s’approprier le bien d’autrui par larcin furtivement fait, à s’introduire dans les maisons mal gardées, nuitamment de préférence et par effraction, à détrousser les passans, et, s’ils font mine de se défendre, à les calmer d’un coup de poignard… Est-il permis de se moquer du monde à ce point-là ?

Le drame lui-même, dans son fond, est essentiellement cornélien. La lutte entre la passion et le devoir, l’exaltation de l’esprit de sacrifice, l’héroïsme surhumain, voilà de quoi est faite toute l’action. Déjà nous avons vu Robin Costeau, dans la scène avec la Mignote, sacrifier les séduisantes réalités de la chair à l’idée abstraite du devoir. Mais cet homme est tout sacrifice et son rôle n’est qu’une longue et continuelle immolation. Il juge que le moment est venu pour lui de se retirer de la carrière, qu’il a fait son temps et qu’il faut laisser la place aux jeunes. Il abdique entre les mains du prince héritier. Tout à l’heure il voudra mourir à la place de son fils. Ce jeune homme, que les lauriers paternels empêchaient de dormir, est recherché pour un assassinat consécutif à plusieurs autres. Le père s’accuse d’être le coupable et se livre aux gens du roi. C’est ici que le drame rebondit. Car le fils n’accepte pas le dévouement du père ; il réclame hautement la responsabilité de ses exploits ; nous nageons dans la grandeur d’âme, nous sommes en plein dans le sublime. Cette rivalité du père et du fils luttant à qui mourra pour l’autre et se disputant la palme du martyre est bien l’une des plus plaisantes inventions qui aient pu germer dans le cerveau d’un poète lyrique. Superbement dédaigneux de toute vérité, M. Richepin ne s’est pas même douté de ce qu’il y avait de bizarre à