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que la description minutieuse de ce petit monde risquait de devenir monotone, que la psychologie de ces âmes vidées, vannées, vraies images du rien, devait être nécessairement courte, qu’il dépensait pour nous en faire les honneurs beaucoup d’esprit mal à propos, et que parfois il se mettait vainement en frais d’éloquence. On l’assurait qu’il y avait en lui beaucoup mieux que la mince étoile d’un écrivain parisien. Il n’en a rien voulu croire. Il est devenu de plus en plus parisien. Il s’est attaché désespérément à ses tristes cliens, il a inventorié les secrets de leur beau physique, de leurs cravates conquérantes et de leurs chapeaux aux huit reflets. Il a promené la sonde dans les abîmes de leur veulerie. A mesure, il s’éloignait davantage de la réalité, se contentait de types plus artificiels, figeait son observation dans des procédés plus factices, poussait au jargon la rhétorique exaspérée de son dialogue, cherchait la nouveauté dans des exhibitions plus désobligeantes que rachetaient mal d’intermittentes berquinades. Le Vieux Marcheur marque jusqu’à présent l’aboutissement de cette sorte de progrès.

Ce n’est pas au nom de la morale qu’il faut blâmer M. Lavedan d’avoir écrit cette pièce ; il est clair que la morale n’a rien à faire ici et qu’on ne l’a pas convoquée. Mais, fût-ce dans les peintures les plus libres, le goût conserve ses droits et ses lois. Le vice chez un vieillard n’est pas seulement honteux ; il est laid, il est vilain, il chagrine, il attriste. Faire des turpitudes d’un vieux noceur le thème d’une comédie, c’est une étrange faute de goût. Croire que le spectacle de cette dégradation puisse amuser, c’est une lourde erreur. En contraste avec ce vieillard qui aime trop les femmes, on a mis un jeune homme qui ne les aime pas assez ; en sorte que le vieux gourmande le jeune avec une autorité de père noble, le rappelle au sentiment de ses devoirs et lui donne des leçons de débauche. Mettez dans ce milieu ignoble, joignez à ces personnages, que l’auteur lui-même qualifie d’écœurans, un curé de campagne, une petite fille idiote. Qu’y viennent-ils faire ? Quel rôle louche a-t-on voulu leur prêter ? En vérité il n’y a ici que la fille galante qui soit à sa place, et, tandis qu’elle fait son métier avec une conscience ennuyée, c’est encore elle qui nous choque le moins. Cela est gênant, pénible : ce n’est pas gai.

Toute ambition de peindre un coin de la société, quel que soit ce coin, a disparu. Il n’y a pas un trait d’observation, pas un détail de mœurs pris dans la réalité, pas un mot qu’on veuille se rappeler. Pas un instant, on n’est tenté de songer que ces personnages pourraient avoir vécu. Ils n’appartiennent ni à notre monde, ni à aucun monde,