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N’est-il pas vrai que pour avoir vu la maquette et les dessous nous apprécions mieux les mérites d’une œuvre d’art achevée ? C’est justement à quoi nous a servi la représentation du Lys rouge.

Nous assistons d’abord à une conversation où des comparses échangent des propos inutiles. Ils font en conscience leur métier de comparses, et nous ne songerions pas à leur en vouloir, s’il n’y avait parmi eux cette insupportable miss Bell. Clochette qui tinte à tous les vents et à tous les courans d’air, cette Anglaise babillarde ne justifie que trop son nom. Avec des minauderies de pensionnaire, des gentillesses attendries et des grâces sautillantes qui ne conviennent guère à sa maturité, elle débite des sentences ornées de petites fleurs et de petits oiseaux, comme on en voit sur le papier à complimens. Chaque fois qu’elle ouvre la bouche, il en tombe une cascade de niaiseries prétentieuses et de préciosités sentimentales. Cruelle, l’assistance se pâme et feint d’être charmée, afin de l’exciter. Puis, c’est Choulette, fier de son paletot déteint et de son cache-nez rouge, et que nous retrouverons à l’acte suivant sous un déguisement fait de peau de chèvre. Il parle peu, et on voit bien qu’il n’est laque pour le costume : c’est un pitre. Puis encore, quelques vagues fantoches, parmi lesquels le vieil archéologue, membre de l’Institut, objet depuis si longtemps de plaisanteries si faciles ! Enfin Thérèse et Dechartre. Thérèse s’ennuyait, elle a pris un amant. Son amant l’ennuie, elle va en prendre un autre. Cet autre, ce sera Dechartre. Nous le voyons faire sa première visite, la cravate lâche et le langage libre ; nous pensons : voilà un homme mal élevé et déplaisant de sottise avantageuse. Thérèse en juge autrement ; le « genre artiste » de Dechartre la transporte d’aise et son snobisme l’enflamme. La liaison de Thérèse et de son sculpteur va remplir tout le reste de la pièce. C’est cela qui nous épouvante. Thérèse lâche Le Mesnil pour Dechartre ; Dechartre, jaloux de Le Mesnil, lâche Thérèse ; telle est l’aventure qui va se dérouler en quatre actes. Elle est si banale, cette aventure, et, depuis que le théâtre et le roman nous la ressassent uniquement, nous en sommes si fatigués ! Que ces gens se prennent ou qu’ils se laissent, cela ne fait rien à Sirius, mais qu’est-ce que cela nous fait à nous-mêmes ? Je sais bien que les histoires Les plus banales, étant les plus simples, sont aussi les plus pleines de sens. Il suffit d’un peu d’émotion pour rajeunir les thèmes les plus usés. Mais, justement, c’est d’émotion que manquent le plus les personnages de M. France. Ils échangent toutes les phrases qu’on est convenu d’échanger en ‘pareilles circonstances, et que leur mémoire fournit abondamment aux personnes qui ont de la lecture. Ils se disent