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conviée. Il n’en est rien. Ce malentendu explique et justifie l’amertume avec laquelle les écrivains de théâtre ont l’habitude de récriminer contre la critique. Celle-ci leur prête des intentions qu’ils n’avaient pas. Elle les juge indûment sur des préoccupations qui leur ont été étrangères autant qu’aux spectateurs. Le théâtre et la littérature ne coïncident que rarement. Néanmoins, c’est au point de vue de la littérature que nous allons être obligés de nous placer pour apprécier les principales productions dramatiques de ces derniers mois. Mais nous y sommes autorisés par le nom de leurs auteurs, parmi lesquels nous trouvons quelques-uns des écrivains les plus réputés d’aujourd’hui.

Le Lys rouge a eu une courte carrière ; cette pièce sitôt morte après avoir si peu vécu, nous apporte, au lendemain de Judith Renaudin, une nouvelle preuve de l’irrésistible attrait qu’exerce le théâtre sur ceux qui sont le moins faits pour y réussir. Car entre les romanciers d’aujourd’hui ; s’il y en a un qui soit désigné pour ne pas écrire de pièces de théâtre, c’est à coup sûr M. Pierre Loti ; mais, s’il y en a un autre, c’est M. Anatole France. L’esprit de M. France, ingénieux, souple, varié, fertile en nuances, s’échappe en tous sens et par tous les chemins de traverse, s’amuse aux mille détails curieux de la route, se joue à la surface des choses et ne s’attarde à rien, si ce n’est à jeter au bon sens ses ironiques défis. Le public assemblé dans les théâtres se prête mal à ces jeux ; fût-il même composé de dilettantes, ce public est une foule et se meut avec quelque lenteur ; il veut savoir où on le mène et préfère aux plus séduisantes sinuosités l’honnête perspective de la ligne droite ; il aime fort ceux qui se moquent, mais à la condition de n’avoir pas à craindre qu’ils se moquent de lui ; il goûte moins la dérisoire subtilité des propos que la vigueur concise et ramassée du dialogue. M. France le sait comme nous, mieux que nous. Il ne croit aucunement être un auteur dramatique. Ne prêtons pas cette illusion à un écrivain qui a si peu d’illusions ! Ne l’accusons pas de donner ce démenti à son universel scepticisme ! Ce serait à peine loyal. Mais il a voulu se divertir. Habitué à considérer que tout ici-bas n’est que spectacle et comédie, il a voulu ordonner à son tour un de ces spectacles comme on en voit à la scène, agencer une de ces comédies comme on en joue dans les théâtres. Il en avait bien le droit. Quelques juges délicats et chagrins le lui ont contesté. Ils ont prétendu qu’il est fâcheux de tirer une médiocre pièce d’un agréable roman et que la pièce leur gâte le roman. C’était une mauvaise querelle, et c’est le contraire qu’il eût fallu dire,