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Fontainebleau, les allées de la forêt. La duchesse de Bourgogne tenait si fort à ces promenades qu’un jour, souffrant d’une fluxion, elle ne voulut pas que le Roi le sût, « de peur, dit Dangeau, que cela ne l’empêchât d’aller à la chasse, » et qu’à cette imprudence, elle gagna même une fièvre assez sérieuse. Un peu de coquetterie s’en mêlait peut-être, car, pour accompagner ainsi le Roi, elle s’était fait faire un costume spécial, composé d’une jupe en velours rouge, d’un justaucorps de même étoffe avec de gros galons d’or, et une coiffure de chasseuse. « Tout le monde, ajoute Sourches, trouva que cet habit lui alloit parfaitement bien[1]. »

Les jours où il n’y avait ni chasse ni promenade, le Roi la conduisait au mail, et, avec beaucoup de bonne grâce, lui donnait les premières leçons, de cet ancien jeu français, un peu délaissé, auquel lui-même jouait fort bien. Il n’en fallut pas davantage pour que le mail fît de nouveau fureur, et pour que chacun se piquât d’y montrer son adresse. Parfois même, le Roi poussait encore plus loin la facilité d’humeur. C’est ainsi qu’il condescendait à jouer un rôle dans les petits divertissemens organisés par elle ou pour elle. « Madame la Duchesse de Bourgogne, rapporte Dangeau, passe toutes ses journées chez Mme de Maintenon, où elle répète, avec ses dames, un petit divertissement pour Versailles, devant le Roi en particulier, et Sa Majesté a même tant de complaisance pour elle qu’il se mêle quelquefois avec les dames du palais dans la musique des chœurs de la pièce[2]. » Louis XIV avait toujours aimé la musique. Dans sa jeunesse il chantait juste, et dansait admirablement des entrées de ballet. Mais il fallait la duchesse de Bourgogne pour faire de lui, à soixante ans passés, un choriste.

Pour cette petite princesse qui avait acquis sur lui un si étrange empire, Louis XIV avait encore d’autres complaisances, et celles-là plus regrettables. De tout temps, le jeu avait été en honneur à la Cour. Mais, depuis quelques années, ce qui n’avait été qu’un divertissement de plus, au temps des fêtes brillantes, était devenu une véritable fureur. « Le jeu, le lansquenet en particulier, cause d’étranges aventures ici, écrivait Madame. Rien

  1. Sourches, t. V, p. 116. Un portrait, longtemps attribué à Michel Vanloo, qui est à Turin, au Palazzo reale, la représente dans ce costume, qui est en effet fort seyant. D’après M. Paolo Boselli (la Duchessa di Borgogna et la Battaglia di Torino), ce portrait devrait être attribué à Pierre Gobert.
  2. Dangeau, t. VII, p. 69.