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marchand encore, où elle fit emplette d’étuis, de flacons d’or et d’autres galanteries. Sur les six heures et demie, elle remonta en carrosse, fit deux fois le tour de la place Royale, suivit la rue Saint-Antoine, la place de Grève, les quais, le cours, et regagna Versailles, où elle arriva à dix heures et demie du soir. « Elle distribua aux dames tout ce qu’elle avoit acheté à la foire. Elle avoit aussi fait distribuer beaucoup d’argent aux pauvres de Paris. »

Dans les quelques lettres qu’au cours de ces deux années, la duchesse de Bourgogne adressait à sa grand’mère Madame Royale, on voit tout l’enivrement que cette existence nouvelle lui causait. Ces lettres, assez rares et très courtes (elle s’en excusait, alléguant la peine qu’elle avait à écrire), ne sont pas dénuées d’une certaine grâce enfantine. À travers l’inexpérience du langage, on sent la chaleur du cœur et la gaieté de l’esprit : « On vous dit la vérité, ma chère grand’maman, écrivait-elle, quand on vous assure de mon bonheur, et je pourrois dire que j’ay trop de divertissemens, car ils m’ostent tout mon temps. » Et dans une autre lettre : « On me fait voir tous les jours quelque chose de nouveau et de très beau. » Dans une autre encore elle parle du temps qui lui manque et de ses journées fort remplies, et elle ajoute : « Mais il n’y aura jamais ni occupations, ni plaisirs, ma chère grand’maman, qui puisse me faire oublier ce que je vous dois et l’amitié que vous m’avez toujours témoignée. » De son mari il n’est jamais question, sauf une fois. « Je ne suis pas encore assée libre, ma chère grand’maman, avec M. le duc de Bourgogne, pour en faire les honneurs ; je suis seulement fort aise que vous soyez contente de sa lettre. » En revanche, il n’en est presque pas une où il ne soit fait mention du Roi. C’est ainsi qu’elle écrit de Versailles : « Ceux qui m’aiment comme vous, ma chère grand’maman, ont souvent sujet de se resjouir avec moi des bontés du Roi, car il m’en donne tous les jours de nouvelles marques. J’ay lieu d’espérer qu’elles augmenteront. Du moins n’oublierai-je rien de ma part pour les mériter. » Et de Fontainebleau : « Le séjour de Fontainebleau m’est fort agréable et surtout de ce qu’il a esté le second endroit où j’ay eu l’honneur de voir le Roy, et j’espère une chose, ma chère grand’maman, que je seroi heureuse non seulement à Fontainebleau, mais partout, estant résolue de faire tout ce qui dépendra de moy pour l’estre[1]. »

  1. Archives de Turin. Lettere di Maria Adelaïda di Savoia, Duchessa di Borgogna, scritte alla Duchessa Maria Giovanna Battista, sua avola. » La plupart de ces lettres ont été publiées autrefois par la comtesse della Rocca, et récemment par M. Gagnière. Nous en avons contrôlé le texte d’après les originaux. On voit qu’elle fait peu à peu des progrès sous le rapport de l’orthographe, mais l’écriture demeure toujours enfantine et informe. Il en fut ainsi toute sa vie.