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reconnu aux agens diplomatiques et consulaires des puissances en Turquie, tant à l’égard des personnes susmentionnées que de leurs établissemens religieux, de bienfaisance et autres, dans les Lieux saints et ailleurs. » En soumettant ce texte au vote du Congrès, M. de Bismarck « fait remarquer que la portée de la proposition anglaise est la substitution de la chrétienté tout entière à une seule nationalité. » A l’avertissement du chancelier, qu’il s’agit de faire consacrer par l’Europe le principe des protectorats partagés entre les puissances et exercés par chacune sur ses sujets, le plénipotentiaire français fait-il la réponse péremptoire et préparée par ses réserves antérieures ? S’oppose-t-il à l’examen d’une question qui n’a pas été soulevée par la guerre, qui par suite n’appartient pas au Congrès ? Il se contente de demander que le texte « tienne compte des droits de la France, » et « constate le maintien du statu quo, » comme si la façon naturelle de maintenir le statu quo n’était pas de repousser le texte qui y déroge. Lui-même accepte le texte, puisqu’il y propose la formule additionnelle : « Les droits de la France sont expressément réservés. » A la proposition française le prince Gortchakof ajoute à son tour : « Il est bien entendu qu’aucune atteinte ne saurait être portée au statu quo dans les Lieux saints. » Le tout est adopté et devient, dans le traité de Berlin, l’article 62.

Jamais texte ne fut plus obscur. D’une part, le droit est reconnu à chaque puissance d’exercer partout, même dans les Lieux saints, au profit de ses nationaux, un protectorat sur les personnes et sur les œuvres religieuses. D’autre part, ce droit ne peut coexister avec le privilège, jusque-là reconnu à la France, de protéger partout, et surtout dans les Lieux saints, les personnes et les œuvres religieuses, quelle que soit la nationalité : et les droits de la France sont aussi mentionnés dans l’article. S’ils l’étaient aussi nettement que les prétentions nouvelles des puissances, l’article impliquerait contradiction complète et serait un non-sens. Mais, tandis que les droits contraires aux nôtres sont « reconnus, » les nôtres sont « réservés ». Où la diplomatie laisse une équivoque, d’ordinaire elle cache un piège.

Et en effet, depuis le traité, les principales des puissances catholiques ont agi comme si elles eussent acquis un litre contre notre privilège. Et l’opinion publique les a suivies, quand elle ne les a pas précédées. Il est tristement instructif de rappeler comment leur religion, faite pour unir toutes les races, s’est laissé