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propre prêtre, et que l’essentiel de l’apostolat était de mettre le texte divin sous les yeux des infidèles.

De 1823 à 1830, ils prirent pied dans le Levant. Leur apostolat avait choisi la Palestine, la Syrie, l’Asie Mineure, l’Egypte, les contrées le moins peuplées de chrétiens. C’étaient les juifs et les musulmans qu’ils se proposaient d’évangéliser. Libraires et imprimeurs autant que missionnaires, les premiers arrivans, dès 1831, distribuèrent en Bibles 27 millions de pages. Ils vendirent même une partie des exemplaires, mais c’était aux juifs, et ceux-ci n’achetaient que l’Ancien Testament, si bien que l’effort des protestans servait à maintenir les égarés dans l’erreur. Pour les feuilles données, autant en emportait le vent. Parmi ceux qui parlaient les langues imprimées dans ces livres, combien savaient lire ? et combien comprendre ? La nécessité apparaissait d’un interprète, d’un guide, d’un médiateur entre le texte mystérieux et l’âme aveugle. Contre l’erreur il fallait la puissance de l’homme sur l’homme, l’autorité de la parole et de l’exemple. Aux colporteurs, aux libraires, qui avaient été les premiers missionnaires, s’ajoutèrent donc les prédicans, et ceux-ci, avec un beau zèle, se mirent à catéchiser les musulmans et les juifs. Mais bientôt leur apparut que sur ces têtes dures les coups de la grâce rebondissaient sans pénétrer. Tout comme le musulman du haut de sa victoire, le juif, du fond de sa déchéance, a conscience d’appartenir à la race choisie, sacrée par sa foi pour la royauté sur toutes les autres, et tient pour inférieure la race chrétienne. Cet orgueil faisait au musulman et au juif une armure à l’épreuve de la démonstration. On ne se laisse pas persuader par ceux qu’on méprise. Mais les juifs estiment l’argent, les Turcs en manquent, et la générosité protestante le faisait affluer aux mains des pasteurs. Pourquoi ces ressources qui attestent la foi des chrétiens n’aideraient-elles pas à changer celle des infidèles ? Elles devinrent tentatrices et pour ceux-ci et pour les missionnaires qui, impatiens de donner à leurs prédications un poids efficace, parlèrent d’or.

Parmi les juifs, dont le génie découvre partout un trafic, quelques-uns pratiquèrent l’abjuration comme une nouvelle forme de commerce, et même, changeant de domicile et de nom, la renouvelèrent assez de fois pour avilir le prix de la marchandise. Mais le cas fut rare autant que vil, et la masse des juifs, impassible au gain, garda sa misère et son Dieu. Les musulmans ont d’autres mœurs. S’ils consentent que chacun pratique sa foi,